ZAC et ZAP : de nouvelles expressions d’art déconfiné

SARS-CoV-2 meets The God Particle, ABK, 2020.

Résumé

La culture, grande oubliée de la crise du coronavirus, se débat depuis de longs mois en fond de cour, en générant seule des zones autonomes de création et de partage. Concentré sur les arts plastiques, cet article dresse un parallèle avec la TAZ d’Hakim Bey et la ZAD dans sa récente acception, afin de révéler les recours que les arts plastiques ont eus durant le confinement lié à la crise sanitaire du coronavirus et les formes que les artistes ont données à leurs œuvres et à leur monstration pour que l’art vive et soit partagé avec la population, en dépit des fermetures. À l’heure où tout a été fermé (et l’est toujours plus ou moins), sans autre solution alternative proposée et davantage manu militari que per voluntatem populi, l’acte de résistance de l’artiste a été de se faufiler entre les mailles du réseau, si chères à Bruce Sterling, pour continuer d’exister, de créer et de partager avec les autres. C’est bien chez les auteurs de la contre-culture anarchiste et cyberpunk, chez les rêveurs d’un monde nouveau qui fasse sens, que nous pouvons puiser les ressources pour définir de nouveaux espaces pouvant répondre à ce besoin vital ignoré des pouvoirs publics : la culture. Face au vide et à l’angoisse de l’inconnu comme de l’inconfort, l’art inocule à l’organisme une possible résilience, constituant un bien commun dont nous ne pouvons nous passer.

Mots-clés : cyberespace ; culture ; zone autonome de création (ZAC) ; zone autonome de partage (ZAP) ; Covid-19 ; artistes.

Summary

Culture, the forgotten field of the coronavirus crisis, has struggled for many months in the backyard, generating autonomous zones of creation and sharing. Focused on the fine arts, this article draws a parallel with the TAZ of Hakim Bey and the ZAD in its recent interpretation, in order to reveal the remedies that the fine arts had during the lockdown linked to the health crisis of the coronavirus and the forms that the artists gave to their artworks and the ways to show their art, to make it live and be shared with the people, despite the closures. At a time when everything was closed down (and is still, mostly), without any proposed alternative, which was done more manu militari than per voluntatem populi, the act of resistance of the artist was to sneak between the meshes of the network to create the so-called « islands », defined by Bruce Sterling to continue to exist, to create and share with the others. It is in the lines of anarchist and cyberpunk counter-culture authors, in those of the dreamers of a new world that makes sense, that we can find resources to define new spaces that can meet this vital need ignored by public authorities : culture. In front of the emptiness and anxiety of the unknown and discomfort, art inoculates the organism with a possible resilience constituing a common good that we cannot do without.

Keywords : cyberespace ; culture ; ZAC ; ZAP ; Covid-19 ; artists.

ZAC et ZAP : de nouvelles expressions d’art déconfiné
En dialogue avec Hervé Fischer, Valéry Grancher et Jean-Benoît Dunckel

La crise sanitaire a vu poindre et se renforcer de nouveaux espaces artistiques que l’on pourrait nommer « zones autonomes de création » (ZAC) et « zones autonomes de partage » (ZAP). Ces espaces – apparaissant telles des enclaves d’expression, de mise en commun, voire de monstration artistique, préexistantes ou non – ont émergé et se sont développés spontanément à la suite de conversations entre artistes. Il ne s’agit pas de dresser un compte rendu exhaustif des multiples échanges artistiques tous champs confondus, mais d’illustrer l’existence de ces espaces, méritant peut-être les nouvelles appellations proposées. Celles-ci nous sont inspirées par des écrits d’auteurs anarchistes et cyberpunks ainsi que par un phénomène plus récent, celui de la ZAD.

Après avoir brossé le contexte du premier semestre 2020, nous tenterons de comprendre comment les artistes se sont glissés dans les interstices du confinement, pour s’octroyer des espaces de vie artistique qu’ils ont partagés avec la population, et ce à travers quelques exemples concrets et des extraits d’échanges. Nous dégagerons le sens de ce cheminement pour tenter d’en comprendre la substance et les conséquences possibles.

Contexte

L’art muselé : musées fermés, galeries fermées ou ouvertes en click and collect, théâtres et amphithéâtres fermés, salles de concert fermées, cinémas fermés puis rouverts quelque temps et refermés longtemps… Le cœur de la vie culturelle bat par épisodes « extrasystoliques » depuis des mois1. Et pourtant, comme l’herbe poussant au milieu des pavés, l’art se faufile à travers les « mailles du réseau2 », telles des enclaves indépendantes et expérimentales, comme un acte de résistance. Au cœur du chaos provoqué par la crise sanitaire, les artistes se saisissent de cyberespaces qu’ils espèrent provisoires pour penser, échanger et créer le temps de la crise sanitaire. Loin de la politique, des zones autonomes poussent en ville et sur Internet, tels des îlots de respiration. Ensemble, tentons de les nommer.

En mai 2020, après deux mois de confinement en France, Elon Musk, patron d’entreprises tech futuristes, tente de sonner le glas de la parole humaine qui, selon lui, disparaîtra d’ici cinq ans. Le milliardaire américain choisit une période particulièrement anxiogène pour des milliards d’habitants sur Terre afin d’évoquer les recherches menées par sa start-up Neuralinks en matière d’implants neuronaux. Au sujet de la parole et dans un contexte plus global de recherches sur le brain-to-brain3, il tente d’expliquer que nous l’utiliserons toujours pour des raisons sentimentales (« We would still do it for sentimental reasons4 »). Alors qu’il s’agit de faire acte de résistance face à une situation inconnue de nos générations, ce qui implique des renoncements à des éléments essentiels, à l’instar des contacts sociaux et de l’échange humain qui nous caractérisent, comment pourrions-nous envisager une perte de parole totale ? Organisée par les Gafam, celle-ci s’immiscerait dans notre inconscient, alors que nous ressentons la souffrance de ne pouvoir l’utiliser à notre gré – dans la rue, avec le quidam, avec notre entourage –, sauf calfeutrés derrière un masque et à un voire deux mètres de distance de l’autre ? N’est-ce pas précisément ce genre d’annonce qui nous permettrait de réaliser vers quel effondrement de l’humain nous semblons aller ? Comme un écho à la crise actuelle intimement liée aux choix du passé ?

Derrière nos visières, nos masques, et au-delà des interdictions de sortir sans attestation et de la distanciation (est-il important de préciser le terme de « distanciation », déjà bien évocateur en soi, par l’adjectif épithète « sociale » ?), la parole est, comme nous le savons, l’un des éléments fondamentaux permettant de relier la planète confinée et de ne pas perdre totalement la raison face à l’isolement forcé. Doit-on rappeler que le confinement n’est pas la volonté du peuple, per voluntatem populi, tout indispensable qu’il puisse être ?

C’est aussi la parole qui est notamment mise en cause dans la crise sanitaire, du fait des gouttelettes contaminées et contaminantes que le souffle peut contenir (Anfinrud, Stadnytskyi : 2020). Comme si, tout à coup, l’une des actions les plus humaines qui soient menaçait une partie de cette humanité. La parole et l’échange : voilà précisément des éléments par lesquels l’enfermement et l’absence de libertés sont rendus supportables. Un article scientifique, parmi d’autres, intitulé « Conséquences psychopathologiques du confinement » (Allé, Mengin, Rolling : 2020), indique la nécessité de « favoriser les contacts sociaux par téléphone ou vidéo ». Cela explique en partie la raison de la rédaction de cet article en dialogue avec des artistes avec qui j’ai eu de longs échanges durant le confinement, sur l’art, sur la crise sanitaire, sur notre futur commun, artistique et humain.

Comment maintenir la parole et qu’en faire dans un contexte d’enfermement et d’aléas ? Comment produire du sens, s’extraire de l’immobilisme, continuer à créer et à diffuser ? Quelle parole échanger ? Toutes ces questions s’entremêlent, à l’instant où nos vies se figent.

Maintenir le relationnel, s’inquiéter de l’autre, entretenir le dialogue artistique et produire de l’art, tout en ne sachant pas vraiment quand ni comment nous pourrons le diffuser, voilà en partie la substance de nos questionnements durant le premier confinement mondial.

Les 2,6 milliards de personnes qui se sont confinées au premier semestre 2020 ont dû composer avec cette période d’enfermement subite (Brignoli et al. : 2020). Faire avec pour aider d’autres à survivre et peut-être aussi pour tenter de vivre, à travers une fenêtre sur l’extérieur qui ne soit pas réductible à une meurtrière. « Cocon » pour certains, « vacances » pour d’autres, « enfer » pour la plupart, chacun de nous aura traversé cette période de crise sanitaire avec ses propres moyens financiers5, physiques, psychiques. Notre cognition aura-t-elle été affectée et comment ? Aura-t-elle trouvé de nouveaux modes d’expression et de résilience ?

Nos corps ayant été confinés, comment nos esprits ont-ils pu s’évader, vivre, rêver et échapper au cauchemar que ce choc pandémique a provoqué chez de nombreuses personnes ? Comment créer et que créer alors ?

Des espaces d’art salutaires

La réponse pourrait se trouver dans de nouvelles pratiques que l’on a vues naître spontanément dans l’espace de la ville. Chants et concerts improvisés depuis les balcons des zones urbaines ont sorti les populations de leur torpeur. Ces pratiques ont vu le jour en Italie (Tésorière : 2020), second pays touché par la pandémie après la Chine, et se sont ensuite répandues de manière internationale. Cours de danse et de sport dans les parties communes et les jardins, projections de films et de vidéos sur les façades des immeubles, spectacles improvisés depuis leur domicile (Herry : 2020 ; Furtade : 2020)…, les artistes ont su partager avec une grande ingéniosité leurs créations avec la population, que nous aurions pu nommer le « public » dans un contexte de structure culturelle. Un public non ciblé, un public de circonstance, ravi que l’on vienne à lui pour le distraire de l’ennui et de la frustration liés à l’enfermement contraint. L’art, hors des lieux lui étant habituellement dévolus, devient non seulement accessible, mais il sonne à votre porte pour vous apporter un peu de réconfort et une forme étrange et nouvelle de socialisation, où chacun profite d’instants d’évasion, de chez lui, dans un cocon et dans un grand tout, simultanément.

Si ce phénomène fut palpable dans les grandes cités, ces nouvelles zones de partage et de création se sont surtout développées dans le cyberespace (synonyme d’Internet), et ce de manière exponentielle.

L’hyperhumanisme que décrit l’artiste et essayiste Hervé Fischer (Montpetit : 2020) trouve de multiples échos sur les réseaux sociaux et sur diverses plates-formes d’échange. Les outils de communication, de visionnage et de partage existaient déjà avant la pandémie et ils étaient utilisés (à l’instar de Zoom, WhatsApp, Messenger, Discord, etc.) ou naissants6. Ainsi, le numérique proposait une panoplie de modes de communication dès avant la crise sanitaire et le lockdown planétaire.

Cependant, ces outils ont certainement pu prouver tout leur potentiel de développement durant cette période particulière. Parce qu’ils constituaient le plus souvent la seule fenêtre autorisée sur le monde extérieur, sur les autres, sur l’espace de travail, et l’une des seules plages de divertissement. Les réunions en ligne, les apéros en ligne, les fêtes en ligne… se sont succédé et ont rythmé le quotidien des personnes équipées7. N’oublions pas que nous soulignons là un phénomène qui n’a pu toucher que des populations ayant les moyens financiers et techniques d’être connectées. Les campagnes, oubliées du Wifi, de la fibre, où l’on capte déjà mal le téléphone ; et les zones urbaines paupérisées n’ont pas eu les mêmes accès aux fenêtres évoquées.

Cette période – où il y a eu scission entre, d’un côté, des personnes en surcharge de travail (notamment, celles qui étaient « en première et seconde ligne », c’est-à-dire les travailleurs au contact direct du Covid-19) et, de l’autre, des personnes dans l’incapacité de travailler (chômage technique ou partiel, perte de travail, etc.) – a été propice à la création ultrarapide d’un réseau d’entraide national et international, que l’on pourrait considérer comme un « réseautage » dans le sens positif du terme. L’écrivain Hakim Bey en vante précisément les mérites « comme alternative à la politique », dans la mesure où « l’organisation non hiérarchique atteint une grande popularité […], simplement parce que ça marche » (Bey : 2014, p. 65).

Nombre de ces services gratuits ont été généreusement et spontanément proposés et mis en ligne par la population, tissant un immense maillage de réseaux afin d’aider à combler les manques de l’État : couturières pour les masques en tissu et les blouses ; associations et quidams pour les repas aux plus démunis ; makers pour les visières8

Par exemple, nous avons pu récupérer à titre gracieux des dessins techniques de valves CAD 3D de l’industrie italienne (transformant les masques de plongée Décathlon en masques de protection pour en pallier la pénurie, dessins envoyés par Beretta et Isinnova) afin de les communiquer à des réseaux de makers ayant fabriqué des centaines de milliers de masques de protection et de visières gratuits à destination des personnels soignants en EHPAD… Nous avons aussi participé à la livraison de blouses, de masques, de pochettes à téléphone, de stylos ainsi que de beurre de karité pour les mains dans certains hôpitaux parisiens, grâce à une chaîne humaine organisée à la volée et, notamment, avec l’aide d’artistes jouissant de liens forts avec leur public à l’instar d’Elli Medeiros. La chanteuse et comédienne a répondu aux sollicitations en mobilisant ses contacts afin de fournir du matériel aux soignants – des pots de beurre de karité pour soigner leurs mains crevassées par l’application continue de gel hydroalcoolique – ou afin de trouver tissus et couturières. À l’international, elle a également donné un contact pour l’envoi de visières aux soignants.

De telles opérations ont eu lieu dans une rare frénésie de partage et d’entraide spontanée et organisée, qui ne dépendait nullement des pouvoirs publics et, donc, en dehors des sphères politiques, en réponse directe aux besoins exprimés par les personnels hospitaliers et, plus généralement, par les personnels en première et seconde ligne.

Des espaces de création et de partage alternatifs : ZAC et ZAP

De même, nombre d’artistes ont su organiser un « réseautage » pour inventer ou intensifier des modes de création, de collaboration et de monstration. Ainsi, des « cyber-enclaves » ont vu le jour, à l’instar des « utopies pirates » d’antan. Faute de lieux physiques accessibles, ces nouvelles utopies pirates ont dû trouver leurs ports d’attache sur Internet. Des « enclaves » modernes semblables au concept d’Îles en réseau de l’auteur Bruce Sterling (1988) que cite Hakim Bey, indiquant que le livre « est fondé sur l’hypothèse que le déclin des systèmes politiques générera une prolifération décentralisée de modes de vie expérimentaux » (Bey : 2014, p. 8).

Il ajoute ensuite « qu’en extrapolant à partir d’histoires d’“îles en réseau”, futures et passées, nous pourrions mettre en évidence le fait qu’un certain type d’“enclave libre” est non seulement possible à notre époque, mais qu’il existe déjà. » Et il finit par les nommer : « Toutes mes recherches et mes spéculations se sont cristallisées autour du concept de “zone autonome temporaire” [TAZ] » (Bey : 2014, p. 10).

Si la TAZ se vit tel un rêve anarchiste, un soulèvement face au pouvoir en place, c’est en raison de la défaillance de notre système, incapable d’emblée de répondre efficacement à l’arrivée du coronavirus de 2019 (faisant la preuve de l’absence de préparation d’un tel événement), que nous avons collectivement dû réunir nos forces et nos imaginaires pour inventer ou intensifier des moyens de partage, de réflexion, d’évasion et de création. Des palliatifs que nous avons crus, puis espérés, provisoires, avant de nous questionner sérieusement sur la durée de ces solutions de remplacement.

Il y aurait donc peut-être de nouveaux espaces, des enclaves de résistance légales (à la différence des îles pirates ou de la TAZ), à nommer en réponse aux initiatives liées à la crise.

Afin d’illustrer ce concept, il me semble indispensable de témoigner de certains échanges – parfois encore en cours – avec des acteurs internationaux de l’art. Cela permettra d’évoquer ces espaces nouveaux ou la multiplication d’espaces préexistants, dont le sens s’est amplifié avec la crise sanitaire. Mais, auparavant, identifions bien ce dont nous parlons.
« La première étape est une sorte de satori », indique Hakim Bey (2014, p. 16), « – prendre conscience que la TAZ commence par le simple acte d’en prendre conscience. » Suivant l’indication de l’écrivain politique américain, il m’a semblé nécessaire de reconnaître et de nommer en conscience ces zones autonomes émergentes pendant la crise sanitaire actuelle.

Il s’agit principalement, voire exclusivement, de cyberespaces de création, d’échange et de monstration qu’il conviendrait de nommer « zones autonomes de partage9 » et « zones autonomes de création10 ». Ces deux expressions – issues des acronymes ZAC (zone d’aménagement concerté) pour la zone autonome de création et ZAD (zone d’aménagement différé) pour la zone autonome de partage – empruntent aux actions d’aménagement du territoire de la part des pouvoirs publics. Par détournement, cela permet de nommer des enclaves que les artistes ont dû inventer en urgence, sans accompagnement public, afin de continuer à créer et à diffuser leur travail en dehors des cercles habituels.

Concernant les zones de partage, s’il existait déjà des sites vitrines mettant en avant les œuvres de plasticiens, à l’instar des galeries d’art en ligne ou de sites de vente d’art, entre autres, la visibilité de l’art et la variété de types de monstrations ont pris de l’ampleur durant le premier confinement et de facto durant le suivant, faute de rendez-vous physiques possibles avec le public. Les propositions de visite d’exposition se sont enrichies dans une dynamique effrénée.

Ces espaces numériques dévolus aux arts plastiques ont certainement pris une importance qu’ils n’avaient pas auparavant : ce sont des lieux que l’on visite sans contrainte horaire – donc, sans contrainte de temps, sans contrainte sociale (on peut les visiter en pyjama, sans avoir à adopter une posture sociale) –, où l’on peut se rendre plusieurs fois et que l’on peut quitter momentanément, à tout moment, d’un simple clic. D’anecdotiques ou complémentaires, ces espaces sont peut-être devenus des fenêtres essentielles sur l’art, car uniques.

D’amateurs le plus souvent, ces rendez-vous ont pris l’étoffe d’expositions importantes pour la plupart des plasticiens collectionnés par de grandes institutions et dont le travail est internationalement reconnu. Les on line exhibitions (« expositions en ligne ») se sont multipliées pour devenir des rencontres-phares, à l’instar des expositions physiques. Ainsi, le MoMA, parmi d’autres, a lancé le 9 avril 2020 des virtual views, des expositions virtuelles proposées chaque week-end par des conservateurs11.

Elles émanent alors aussi bien de certaines institutions souhaitant valoriser leurs contenus virtuels que de collectifs ou de réseaux d’artistes, pour qui il s’avère vital de trouver un espace de partage. Nous proposons de nommer ces enclaves particulières « zones autonomes de partage » (ZAP). Conçues pour une durée limitée à la période du confinement, elles se multiplient à mesure que la durée de la crise sanitaire s’allonge. D’autres initiatives, sur ce même modèle, ont vu le jour, comme des visites guidées virtuelles, des films en streaming sur l’art12, etc.

Ces enclaves ont pris de l’importance, en sus d’autres qui leur sont concomitantes : les zones autonomes de création (ZAC). Ces lieux d’échange, sur les plates-formes technologiques, ont permis de rester connectés les uns aux autres a minima ; d’échanger des idées et des concepts ; de faire émerger des œuvres, voire des écrits sur l’art. Des réseaux se sont ainsi créés ou ont été renforcés à l’échelle nationale et internationale, via des outils existants : FaceTime, WhatsApp, Zoom ou Messsenger, où l’on se retrouve pour créer, inventer, ou encore imaginer une exposition sur le Covid-1913.

Notons que ces ZAC et ZAP permettent de vivre la crise sanitaire en toute sécurité et sans enfreindre les consignes, puisque ce sont des espaces « safe », sans contrainte, où l’on contourne l’interdiction de socialisation et où nous pouvons nous déconfiner sans masque et nous exprimer sans limite, dans la mesure où ils sont virtuels.

Si les appellations citées plus haut rappellent les propos de Hakim Bey, elles empruntent tout autant à l’esprit de la ZAD dans son actuelle acception.

Pour rappel historique, la ZAD, telle que nous la percevons aujourd’hui, est née à Notre-Dame-des-Landes sur « la zone choisie en 1974 pour implanter l’aéroport du Grand-Ouest [qui] appartient au plateau nantais, […] située à 20 kilomètres au nord-ouest de Nantes » (Collectif Comm’un : 2019, p. 5).

Originellement, l’acronyme ZAD14, signifiant « zone d’aménagement différée », renvoie à la procédure permettant aux collectivités locales d’appliquer un droit de préemption particulier pour juguler le foncier, en vue notamment d’un (ré)aménagement public. Le terme de ZAD prend un autre sens, en 2009, sur les terres occupées de Notre-Dame-des-Landes : « C’est avec l’arrivée de ces nouvelles et nouveaux occupant.es que la terminologie “zone à défendre” (ZAD) apparaît. Ce détournement de l’acronyme ZAD (de “zone d’aménagement différé”) remplace peu à peu le nom de “lutte de Notre-Dame-des-Landes” » (Collectif Comm’un : 2019, p. 64).

Devenue populaire, la nouvelle acception de ZAD s’est propagée, au point d’entrer dans le dictionnaire dans les années 2010 : « Cette lutte au long cours a inspiré un peu partout, l’acronyme ZAD s’est partout diffusé, jusqu’à rentrer dans le vocabulaire courant… et le dictionnaire15 ! Elle a redonné du souffle à de nombreuses personnes » (Collectif Comm’un : 2019, p. 245). Désormais, elle désigne d’autres territoires où les populations luttent pour se défendre.
La « zone à défendre » rappelle indubitablement les zones autonomes mentionnées par Hakim Bey en 1991 : « Dans l’avenir, cette même technologie16 – libérée de tout contrôle politique – rendrait possible un monde entier de zones autonomes » (Bey : 2014, p. 9).

Bien que les espaces que nous souhaitons nommer soient exempts d’illégalité, contrairement à l’occupation de ZAD et à la plupart des TAZ, ils ont en commun plusieurs points, parmi lesquels l’urgence, la résistance, l’autonomie, la volonté de nourrir les imaginaires, de révéler ou de penser le monde autrement… De plus, les espaces évoqués ont tous un rapport étroit avec la culture et le lien social qu’elle permet de développer.

Dans la ZAD, « la fête, les lectures, les ateliers d’écriture et de slam, les spectacles, la musique […], sont particulièrement présents et importants dans la mesure où [ils] participent à l’émancipation, au renforcement de la solidarité, au partage des idées » (Collectif Comm’un : 2019, p. 77). Les mêmes bénéfices se dégagent des ZAC et des ZAP.

Moins connue, la ZAC, telle que conçue par les pouvoirs publics, propose un aménagement public ou privé de lieux en friche « à partir d’anciennes friches, vestiges d’un passé industriel révolu, du moins au cœur des villes. Ou encore d’entreprises SNCF, EDF, d’entrepôts de l’armée (casernes désaffectées)… » (Sabarly : 2016). Ces lieux en friche, destinés à renaître sous une autre forme dans le réel, ont inspiré l’idée d’une ZAC en art : une zone autonome de création que l’on a vue émerger grâce à Internet pendant le confinement « coronavirussien ». Car, outre les zones de diffusion, de partage de l’art via le flux des réseaux sociaux et des outils de communication, un territoire créatif a poussé, notamment pour les artistes soumis à l’économie de moyens, soit parce qu’ils se confinaient loin de leur atelier, soit parce qu’ils enregistraient un déficit de revenus (en lien avec l’absence de rendez-vous commerciaux due à l’annulation ou à la non-création d’événements artistiques). Ces ZAC d’une nouvelle ère ont été des espaces d’échange entre artistes ou entre artistes et personnes issues d’autres horizons, notamment de la science, avec, comme résultat, la création d’œuvres nouvelles, le plus souvent liées au coronavirus.

Les artistes et la crise du Covid-19

Attachons-nous à présent à conter le particulier pour toucher à l’universel. Autour de moi, plusieurs artistes ont été impactés par la crise sanitaire et ont parfois produit de l’art de manière différente. Qui n’a pas pu être soigné correctement d’une maladie existant avant les confinements, qui a contracté le SARS-CoV-2, qui vivait psychiquement mal le confinement… Dans ce chaos, deux certitudes pourtant : lors du premier confinement, les échanges furent denses en matière d’analyse du présent et de prospections ; les créations en furent parfois modifiées, altérées, renouvelées.

Avec Jean-Benoît Dunckel, musicien et membre du duo Air, groupe de la French Touch, nous avons, depuis quelques années, des échanges sur nos visions du futur. Invitée à une journée de prises de parole sur ce thème, j’ai proposé une discussion croisée avec l’artiste. Le 6 juin dernier, sur Internet, nous nous sommes donc entretenus sur le futur en visioconférence, lors de la journée de séminaire intitulée « Tomorrow for Good17 » et portée par Terence Ericson, alors étudiant-chercheur en neurobiologie. Cette journée de travail et d’échanges devait avoir lieu en présentiel au CRI18, à Paris, et nous la préparions depuis environ un an, avec Terence et son équipe. Or, tout a dû être repensé, numérisé et réinventé pour que le public puisse y avoir accès. Bien que cette initiative n’ait pas été unique à cette période, elle est intéressante pour comprendre le fonctionnement et le type d’outils utilisés pour rendre possible une telle expérience. Si les outils préexistaient, leur utilisation s’est diversifiée et intensifiée avec la crise sanitaire. Zoom, Discord, WhatsApp, FaceTime, Messenger, etc., sont devenus des alliés indispensables au maintien du contact social, de la diffusion des savoirs et de la création.

Des zones d’échange et de travail plus confidentielles se sont créées avec chaque acteur de cette journée, pour construire ensemble la prise de parole du 6 juin, intitulée « Quelles relations entre les imaginaires et le futur19 ? » À cause de la situation sanitaire, nous avons dû modifier certains aspects de cette rencontre ou y renoncer, notamment la monstration d’œuvres en réel au CRI, qui se sont finalement vu attribuer un espace virtuel20. Cette exposition regroupait les œuvres des artistes qui intervenaient, à savoir Jean-Benoît Dunckel, Yann Minh, Thierry Mutin et moi-même.

Parallèlement à ce type de prises de parole en ligne, qui se sont multipliées et qui ont pris de nouvelles formes (lives sur Instagram, Facebook, ou sur les plates-formes dédiées à la conversation), comme évoqué précédemment, la création même a également été marquée par des travaux d’art inédits. À l’instar d’autres artistes, j’ai choisi de peindre sur la thématique du Covid-1913.

Ne m’étant pas confinée là où se trouve mon matériel de création, il a fallu improviser un travail de peinture avec une économie de moyens et reprendre des toiles peintes afin de repeindre dessus (en l’absence de toiles vierges et surtout par impossibilité d’accéder à du matériel neuf, puisque l’art n’avait pas le statut de denrée indispensable). Afin de compléter la maigre palette de peintures et de bombes dont je disposais, je suis allée au rayon décoration-bricolage d’un hypermarché, où j’ai pu acheter quelques rares pots de peinture murale. Parmi les pièces que j’ai alors créées, l’une a vu le jour à partir de la frustration que j’avais de ne pas pouvoir me rendre à Saclay afin de commencer une collaboration prévue. En effet, j’étais invitée par Laurent Chevalier, astrophysicien rencontré à la conférence TEDx à laquelle je fus conviée le 30 janvier 202021 et qui précéda le confinement, pour parler de la peinture augmentée22, le mouvement pictural que je formalise. Laurent Chevalier fut membre de l’équipe ayant découvert le boson de Higgs et il travaille actuellement sur la matière noire. De nos échanges par Messenger et en visioconférence a pu naître une toile qui sera prochainement exposée en ligne, où se rencontrent biologie et physique, des infiniment petits, tels un virus et un boson, amenant tous deux à un questionnement sur la vie et sur la façon dont l’infiniment petit agit sur celle-ci. Cette toile constitue un exemple d’œuvre née d’une zone d’autonomie créative.

Bien entendu, de nombreux plasticiens ont été influencés par le virus et par la crise sanitaire, par intérêt ou par résilience. Au cours d’échanges téléphoniques avec des artistes, je me suis aperçue que certains d’entre eux avaient contracté le virus et s’en étaient inspirés ou bien allaient le faire.

Cela a affecté leur corps, leur santé physique et psychique, et infusé leur création même. Ces artistes ont créé des œuvres en rapport avec leur expérience de la maladie. L’un d’entre eux, Valéry Grancher, artiste numérique, a mis en scène son approche de la maladie via une installation en réalité virtuelle créée à partir de Google Tilt Brush, qu’il vit comme une expérimentation cathartique. « J’essayais toujours de comprendre ce qui se passait dans mon corps », dévoile-t-il en explication de son œuvre, intitulée tout simplement Corona et qu’il a conçue une fois guéri23. Lors de l’un de nos échanges téléphoniques, l’artiste évoque l’art-thérapie et rappelle que la réalité virtuelle est un outil médical à l’origine (TRV : thérapie en réalité virtuelle), notamment dans le cas de thérapies post-traumatiques (Boyer, Lançon, Malbos : 2013).

Pendant le confinement, l’autonomie créative s’inscrit, chez certains artistes, dans l’innovation de leur pratique.
Hervé Fischer indique l’émergence de nouvelles créations et d’une nouvelle pratique artistique : la sculpture sur neige, au sortir de l’hiver canadien où une main fut « gravée » dans la neige pour la préparation de l’exposition sur le coronavirus qui aura prochainement lieu en ligne, à défaut de pouvoir la faire vivre dans le réel, et dont je suis l’instigatrice : « Jamais je n’aurais eu l’idée de me geler les doigts pendant des heures, si j’avais pu aller dans mon atelier à Montréal », confie-t-il. Confiné en pleine nature et loin de son atelier, Hervé Fischer a produit, m’a-t-il confié, une quantité inhabituelle de tweet-art et de textes-manifestes.

À ce sujet, l’artiste souligne le fait que le manifeste en ligne préexiste à la crise sanitaire : on peut citer, entre autres, le « Manifeste de la peinture augmentée24 », l’« Ultradinámico » de Felipe Pantone25, le très récent « Manifeste pour un art actuel face à la crise planétaire » d’Hervé Fischer26 ou encore la pétition contre la mort d’ORLAN lancée en 201127. Certains de ces dernières années questionnent les pratiques artistiques et le futur du vivant. C’est le cas du « Manifeste de la peinture augmentée » proposant de mettre « le vivant tout entier au cœur de l’art » et soulevant donc une « réflexion sur le vivant ». Durant la pandémie, ce type de manifeste activiste prend une forme solennelle et urgente. Le « Manifeste pour un art actuel » d’Hervé Fischer évoque « l’obligation et la responsabilité d’un art philosophique en quête d’une éthique planétaire ». Durant la crise sanitaire, on s’alarme également de la perte de libertés suite aux mesures politiques restrictives. Ainsi, « près de 500 personnalités, dont 13 Prix Nobel de la Paix et une soixantaine d’ex-chefs d’État et de gouvernement, lancent un appel à défendre la démocratie » (Bourdillon : 2020).

Ces messages ont pris une ampleur et une valeur particulières à l’aune de ce que nous vivons, eu égard à la résonance universelle et émotionnelle qu’ils ont. Au monde, Yayoi Kusama adresse un message poétique : « Au milieu de cette menace historique, un court moment de points lumineux vers le futur / […] À ce Covid-19 qui se tient sur notre chemin / Je dis ‘‘Disparais de la Terre’’ / Nous nous battrons / Nous combattrons ce monstre terrible / Maintenant, il est temps pour tous les peuples de la Terre de se redresser / Ma profonde gratitude va à ceux qui sont au cœur de la bataille / Révolutionnaire du monde par l’art, Yayoi Kusama » (Duponchelle : 2020).

Car, comme dans le contexte de la ZAD, il est essentiel de nourrir l’imaginaire. Dans cet esprit, des zadistes écrivent : « Ce qu’il nous importe de raconter, c’est cette chronique d’une victoire improbable. Donner de l’espoir à celles et à ceux qui ailleurs, aussi, ont fait le choix de ne pas se résigner. Montrer qu’il est encore possible de se dresser, le poing levé, de dire non. Et l’emporter » (Collectif Comm’un : 2019, p. 8).

Coincés dans leur atelier ou dans un autre espace de confinement, atteints du Covid-19 ou non, les artistes évoqués dans cet article, à l’instar de bien d’autres, ont maintenu leur activité comme ils le pouvaient, par le truchement des moyens disponibles. Hervé Fischer s’est improvisé sculpteur sur neige et a réfléchi à un manifeste de crise qu’il a ensuite proposé à la signature à de plasticiens du monde entier. Jean-Benoît Dunckel composait de la musique, tout en imaginant le monde de demain en coulisse, avec moi notamment, et en colloque également. Valéry Grancher composait une œuvre issue de sa traversée « covidale ». Et, lors de ce curieux ballet d’activités à la fois familières et inédites, nous avons tous échangé, comme nous le pouvions, tentant de créer une synergie créative et de partage via les réseaux, qui y sont propices. Nous réunissions, dans la foulée, des œuvres d’art pour une exposition à venir sur la thématique du Covid-19. Dure période mais faste période de résistance, également !

Selon Hervé Fischer, la crise sanitaire a sans doute inventé les concerts de balcon à balcon, mais pas grand-chose de plus au niveau des outils technologiques de « préconfinement », m’indique-t-il lors de l’une de nos visioconférences. En revanche, l’artiste note une « accélération des phénomènes », l’utilisation de ces outils ayant pris tout son sens et ayant été décuplée durant ces derniers mois.

La fonction des technologies connectées, des réseaux sociaux, des outils de communication téléphonique et de visioconférence, aurait-elle muté ? De simples outils de communication, ces technologies numériques sont devenues des espaces de vie, des lieux de création, des espaces uniques de relations sociales, des écosystèmes artistiques et philosophiques, des zones autonomes de création et de partage. Ces ZAC et ces ZAP sont des lieux de résistance à la crise sanitaire, autant que des lieux de (sur)vie et de liberté pour éviter de suffoquer. On y partage des pensées, de l’art, comme on y fait collectivement la fête derrière son ordinateur, connecté via Zoom à des dizaines d’autres solitudes. Bien entendu, tout cela est virtuel, mais cela a bien lieu !

Hakim Bey explique clairement que la TAZ existe partout, puisque, « par nature, la TAZ se saisit de tous les moyens pour se réaliser ». Et donc « elle utilisera l’ordinateur parce que l’ordinateur existe » (Bey : 2014, p. 32-33). Et bien que l’auteur n’entende pas le mot « Web » au sens de la Toile, de l’Internet d’aujourd’hui, il prévoit, dans le futur, que la TAZ se servira aussi de l’Internet comme l’un des moyens pour s’accomplir. « La totale réalisation du complexe-TAZ serait impossible sans le Web. Mais le Web n’est pas une fin en soi. C’est une arme » (Bey : 2014, p. 72). Le Web d’aujourd’hui a permis l’avènement d’espaces autonomes comme solutions provisoires – et parfois même pérennes – à l’enfermement et à la fermeture des lieux de vie culturels.

Donner vie aux imaginaires et les partager relève de la bonne santé collective. Dans la postface de la BD sur la ZAD nantaise, La Recomposition des mondes d’Alessandro Pignocchi (chercheur en sciences cognitives et en philosophie de l’art, dessinateur de BD), l’auteur de science-fiction Alain Damasio rappelle que « l’imaginaire n’est pas une fumée ou un rêve douceâtre, bien au contraire : il est ce qui ponte l’action […]. Il est aussi vital que la tactique, la logistique, les projets et la niaque. Il fait la continuité et le lien entre ces pôles concrets du combat » (Pignocchi : 2019, p. 101). Artistes et penseurs, par leurs tentatives d’échanges créatifs et de production durant la crise sanitaire, maintiennent autant que possible les imaginaires en alerte et invitent à résister – psychiquement, individuellement et collectivement – à cette âpre période.

Pendant les confinements, le territoire de création n’est pas nécessairement (ou pas uniquement) celui de l’atelier. Il en va de même pour l’espace de monstration.

Il y a complémentarité physique-virtuel, voire déplacement de la monstration dans l’espace numérique ou dans les espaces numériques.

Avec la crise sanitaire, la monstration des œuvres a été modifiée non par choix, mais par défaut. De nombreux rendez-vous rythmant la vie culturelle et, plus précisément en l’espèce, l’art contemporain ont été supprimés, reportés ou tout simplement lancés sur Internet, comme relais à l’impossibilité de monter une exposition ou un salon physique. Ainsi, la FIAC, Art Basel et d’autres événements de la scène artistique internationale ont été annulés dans leur version réelle habituelle. Après qu’un report a été tenté, c’est en ligne que nous retrouvons finalement les galeries d’Art Basel.
De même, nous devions participer à Cadaf Paris, foire d’art contemporain d’art numérique soutenue par Beaux-Arts Magazine et imaginée à l’origine à la Monnaie de Paris, du 11 au 14 juin 2020. Celle-ci s’est finalement tenue en ligne, au prix d’efforts humains et techniques intenses de la part des organisateurs et des artistes, avec une participation forcément plus confidentielle28. Le festival des nouveaux médias Ars Electronica 2020, auquel j’ai participé, a également inauguré un espace de monstration en ligne29 pour cette édition particulière, en sus de l’événement physique, à l’instar d’Art Basel. Une nouvelle forme de rendez-vous de l’art, vouée à se pérenniser, a donc vu le jour en cette période, sous la forme d’espaces de monstration numériques ou physiques.

Conclusion

L’offre numérique préexistante n’accompagne plus les sorties culturelles, dans la mesure où elle se substitue à celles-ci, devenant l’offre unique en matière de culture, hormis pour les concerts aux balcons. Dans ce contexte, lors du premier confinement, j’ai constitué un groupe d’artistes pour réaliser « Exit », une exposition numérique sur la thématique de la crise sanitaire du coronavirus. Certains artistes avaient déjà créé des œuvres sur le Covid-19 ou dont le sens avait un lien avec ce que nous vivions, et d’autres les ont conçues pour l’exposition. Le concept ? Proposer une empreinte artistique de cette période à travers des pratiques et des vécus variés. Ont ainsi été réunis dix invités durant le premier confinement, grâce aux échanges que nous avons eus par téléphone, FaceTime, WhatsApp… Jacques Villéglé, ORLAN, Olga Kisseleva, Dana Wyse, Sadika Keskes, Yann Toma, Hervé Fischer, YAK, Shuck One, Bruno Gadenne, ont tous répondu présents. Chaque plasticien et chaque plasticienne propose une œuvre en lien avec le SARS-CoV-2, selon sa pratique, ses réflexions et ses émotions.

Après avoir sollicité plusieurs institutions pour abriter virtuellement cette exposition, il s’est avéré que nombre d’entre elles n’avaient pas encore conçu d’espaces d’accueil de ce type. Bien que les structures en question aient proposé de relayer l’information de cette exposition jugée qualitative, une fois en ligne, cette dernière ne peut se diffuser aujourd’hui autrement que par une mise en place numérique personnelle. En parallèle de galeries ouvertes et de musées fermés depuis 2020, il incombe décidément aux artistes de trouver par eux-mêmes les moyens et les réseaux de diffusion de l’art.

La multiplication des initiatives plastiques liées au coronavirus, les processus mis en place pour ces créations et leur monstration en ligne font partie de la ZAC (zone autonome de création) et de la ZAP (zone autonome de partage). L’exposition de ces œuvres sur Internet est conçue pour être accessible à un public hétéroclite, gratuitement et en toute liberté (accessible à n’importe quelle heure, puisque son espace est virtuel).

De nombreuses initiatives de cet acabit peuplent peu à peu la Toile. Et se pérennisent au cours de la crise sanitaire. Considérées comme des alternatives d’urgence, certaines enclaves – ou moyens ou raisons d’en créer – seront sans doute éphémères, pendant que d’autres se pérenniseront. N’oublions pas que la TAZ était conçue pour disparaître aussitôt qu’elle était nommée. Il serait souhaitable qu’il en advienne autant de ces zones autonomes au profit d’espaces permettant la survie des artistes et de l’art. Ces sursauts de vie artistique affaiblissent l’artiste, bien qu’ils nourrissent l’art, et ne peuvent se pérenniser dans leur forme actuelle (accès libre et gratuit), sans être pris en considération par les pouvoirs publics, sachant que ceux-ci ont trop longtemps abandonné la culture, plastique ou autre, alors qu’elle est une denrée essentielle à l’humain, comme l’a rappelé l’Unesco30 dès le mois de mars 2020. « De nombreux pays ont fermé leurs musées, salles de spectacle et autres lieux culturels en vue de stopper la pandémie de Covid-19. La culture se déplace en partie sur l’Internet, les réseaux sociaux et aux balcons des habitations des grandes villes. » Face au vide et à l’angoisse de l’inconnu comme de l’inconfort, l’art inocule à l’organisme une possible résilience constituant un bien commun dont nous ne pouvons nous passer.

N’oublions pas que les zones autonomes de création et de partage aspirent sans doute au même objectif que celui de la ZAD, c’est-à-dire à « réconcilier le vivant avec lui-même » (Pignocchi : 2019, p. 103). L’expérience de la ZAD de Nantes apporte bien plus qu’une lueur d’espoir : une énergie, une pulsion. Alors que les forces de l’ordre mènent l’opération César, ses habitants se lancent dans l’opération festive ironiquement baptisée Astérix : « Las, alors que le gouvernement attend un mouvement d’occupation défait, hagard, il trouve face à lui des personnes qui ont encore l’énergie de rouvrir le lieu, l’occuper et y faire une fête. Comme un pied de nez à la résignation […] avec une banderole explicite : “Nous sommes tou.t.es des habitant.e.s qui résistent !” » (Collectif Comm’un : 2019, p. 243).
Gardant intact cet enthousiasme, les instigateurs et les instigatrices des actions narrées dans cet article pourraient brandir une pancarte indiquant : « Nous sommes tous des artistes qui résistent ! »

Notice biographique

ABK s’interroge sur l’avenir de la peinture et du vivant, à l’aune des nouvelles technologies (notamment les NBIC) et des problématiques fondamentales actuelles. Après un parcours de reporter, elle mène en autodidacte des recherches plastiques sur la peinture et sur les technologies au cours de la décennie 2010. Jusqu’au jour où l’UFR d’Arts plastiques de Paris-1 l’admet par mesure exceptionnelle en Master II. ABK poursuit désormais une recherche de thèse, mêlant art, technologies et science, sur le courant pictural qu’elle formalise sous le nom de « peinture augmentée ». Ni technophile ni technophobe, l’artiste infuse, dans ses travaux, des lectures et des échanges avec ses pairs et avec des scientifiques, qui nourrissent sa réflexion.

Notes de bas de page
  1. Trouver des solutions alternatives à la création et à sa diffusion traditionnelle durant la crise sanitaire relève d’une forme de résistance et donne du sens à l’épreuve que nous traversons. Le contexte est difficile à la fois pour la population et pour les acteurs de la culture, touchés de plein fouet. La majorité des canaux de création et de diffusion ont été obstrués. Pour autant, il faut attendre l’automne et de nombreuses protestations pour entendre le président de la République intégrer à nouveau la culture à son discours. « “La culture est essentielle à notre vie.” Après avoir ostensiblement ignoré le monde culturel dans sa précédente allocution sur le déconfinement, ce qui avait été vivement reproché par les professionnels de la culture, Emmanuel Macron a pris soin, mardi 24 novembre, de ne pas commettre la même erreur. » Le président de la République avait reçu plusieurs lettres ouvertes et pétitions « pour réclamer la réouverture des lieux culturels, meurtris d’être considérés comme “non essentiels” » (Blanchard, Pietralunga, Vulser : 2020). Était alors évoquée la réouverture de certains lieux d’art sous certaines conditions dès le 28 novembre et, pour les musées, salles de spectacles et de cinéma, le 15 décembre, si l’épidémie continuait de décroitre, ce qui ne fut pas le cas. Certains espaces d’art, comme les galeries, ont pu réouvrir dans un premier temps sous forme de click and collect. Les portes des cinémas, musées, salles de concert et consorts restent fermées, enracinant la culture dans une crise sans précédent. Est-il besoin de rappeler qu’à part quelques artistes stars ou des artistes de la récente vague de crypto-art ayant connu un bond dans la vente de leurs œuvres durant la crise, la majorité des artistes a enregistré un manque à gagner inédit malgré les aides allouées par l’État, à l’instar d’autres secteurs d’activité sinistrés.
  2. Expression empruntée au roman cyberpunk Islands in the Net de Bruce Sterling (Sterling : 1988), dont le titre en français est Les Mailles du réseau et dans lequel sont décrites des enclaves aux modes de vie expérimentaux .
  3. Le brain-to-brain (ou brain-brain interface) est une expression anglo-saxonne désignant les recherches actuellement menées pour permettre de communiquer d’un individu à l’autre par la pensée grâce à des technologies non invasives. La revue scientifique PLoS ONE publiait, le 19 août 2014, un texte indiquant que la première communication par télépathie, c’est-à-dire d’un cerveau à l’autre via Internet, avait pu être établie (Ginhoux, Grau, Riera : 2014).
  4. Cf. Embury-Dennis : 2020 en bibliographie.
  5. Soulignons que la crise n’a pas impacté toutes les strates de la société de la même manière, puisque, si la majorité des ménages enregistre des pertes et que bon nombre de secteurs d’activité périclitent, les grands milliardaires de ce monde, et notamment de l’Internet, ont vu leur fortune décupler aux États-Unis comme en Chine, qui enregistre une explosion de milliardaires sans précédent. « Jamais autant de richesse n’y a été créée qu’en 2020 », indique RFI, reprenant les chiffres du Hurun Report, l’institut de recherche éditant la liste des personnes les plus riches du monde. Pour rappel, Oxfam souligne que « fin 2020, on compte 2 360 milliardaires à travers le monde, c’est 207 de plus que lors du recensement fin 2019. Leur fortune atteint un nouveau record avec 11 950 milliards de dollars. » La crise sanitaire révèle plus fortement l’accroissement galopant des inégalités dans un contexte où la quête de sens et d’éthique se fait plus forte que jamais. Les patrons des réseaux sociaux et des start-up de nouvelles technologies sont parmi les grands gagnants de la crise : Elon Musk (déjà cité), Jeff Bezos (patron d’Amazon), Eric S. Yuan (patron de Zoom), Mark Zuckerberg (patron de Facebook) – pour ne citer qu’eux – sont les grands bénéficiaires de cette période. (Cf. RFI : 2020 et Oxfam : 2021.)
  6. Des applications telles que Villagemessenger.com ont permis à la population de communiquer et de s’entraider, en l’occurrence à l’échelle d’un quartier.
  7. Si, sur un plan humain, les nouvelles technologies permettent à l’humain de se connecter à son entourage (amis, famille) et au monde, sur le plan psychique, l’actuelle hyperconnexion n’est peut-être viable à ce rythme qu’à court terme et afin de garantir une forme d’équilibre psychique, bien que précaire. Et, sur le plan de l’éthique, les Gafam et consorts ne sont pas à l’abri d’un techlash en période de postcrise et peut-être même d’une profonde remise en question d’une partie de la population. Comme l’indique, dès 2015, Pierre Caye, philosophe et directeur de recherche au CNRS, « l’explosion de l’économie immatérielle […] s’est traduite par une accélération de la pollution, une marchandisation générale de la société et un accroissement des inégalités » (Caye : 2015). Il va sans dire qu’évoquer un potentiel « monde d’après » et travailler à le construire passera par la remise en cause d’un modèle qui engendre « plus de destructions que de créations ». Pour rappel, le techlash indique un potentiel « retour de bâton » à l’encontre des nouvelles technologies, lié à la mauvaise publicité dont elles font l’objet du fait de leurs abus (non-paiement de taxes, exploitation des données personnelles, concurrence déloyale, non-respect de la vie privée, fake news, etc.).
  8. Au début du premier confinement, l’urgence a pris le pas sur la création personnelle. Je me suis investie, comme tant d’autres, dans l’aide aux personnels hospitaliers et aux citoyens, en créant une ramification de services gratuits glanés au gré de mes recherches et rassemblés sur une plate-forme en ligne, sans avoir à déconfiner, grâce aux outils proposés par la technologie, aux réseaux sociaux et aux réseaux amicaux. Voir : www.exitcoronavirus.com
  9. La zone autonome de partage, comme je l’entends, est un espace numérique utilisé comme palliatif, durant la crise sanitaire, notamment des confinements et des restrictions liées au couvre-feu pour partager de la culture. Cette enclave libre met en lien directement l’art et le public avec une grande liberté, puisqu’il n’y pas de contraintes horaires, pas de tarif pour la plupart, et qu’il est possible de s’en délecter le temps que l’on souhaite. À l’origine conçue comme une pauvre solution de remplacement à la fermeture des lieux d’exposition, cette pratique persiste en accompagnant la crise sanitaire. Des institutions y ont eu recours, ainsi que des artistes organisés en réseau ou des collectifs.
  10. Je propose ici un détournement de l’acronyme originel indiquant « une zone à l’intérieur de laquelle une collectivité publique, ou un établissement public y ayant vocation, décide d’intervenir pour réaliser ou faire réaliser l’aménagement et l’équipement de terrains, notamment ceux acquis ou à acquérir en vue de les céder ou de les concéder ultérieurement à des utilisateurs publics ou privés ». Voir le site gouvernemental : https://www.collectivites-locales.gouv.fr/lamenagement-urbain
  11. Le MoMA propose des virtual views, des visites virtuelles d’expositions durant le week-end : https://www.moma.org/calendar/groups/58
  12. Cf. Clic, « Covid-19 / Tour de France des initiatives musées & monuments dans un contexte de confinement », 7 mai 2020. Article rédigé par l’équipe du Clic, club réunissant des institutions culturelles sensibles aux problématiques technologiques.  [En ligne] : http://www.club-innovation-culture.fr/tour-france-initiatives-musees-monuments-confinement/
  13. Cf. le site de l’Académie française : www.academie-francaise.fr/le-Covid-19-ou-la-Covid-19
    Nous utilisons le masculin pour « Covid », bien que l’Académie française recommande l’utilisation au féminin de la maladie liée au coronavirus, du fait de l’usage fréquent du masculin et l’usage du masculin pour d’autres maladies liées à un virus ou non (sida, typhus, paludisme, choléra, cancer, etc.).
  14. Définition proposée sur le site gouvernemental : www.data.gouv.fr/fr/datasets/zones-damenagement-differe-zad-dans-le-departement-des-landes/
  15. Cf. Aïssaoui, Valmalle : 2015 en bibliographie.
  16. L’auteur évoque ici les technologies modernes.
  17. Site Tomorrow for Good : tomorrowforgood.org
  18. Site officiel du CRI : https://www.cri-paris.org/fr/about
  19. ABK et Jean-Benoît Dunckel, « Quelles relations entre les imaginaires et le futur ? » :  https://www.youtube.com/watch?v=Qyq7jxL3n2Q
  20. Exposition virtuelle d’œuvres en lien avec la journée « Tomorrow for Good » : https://hubs.mozilla.com/bZy6cUT/kooky-excitable-soiree Cliquez sur « create room », « join room », « accept » puis « enter room » pour accéder à l’exposition virtuelle.
  21. Programme de la conférence TEDx AgroParisTech du 30 janvier 2020 « Reveal the (un)known » : https://www.ted.com/tedx/events/36061
  22. ABK, « La peinture augmentée, révélatrice de notre époque ! », conférence TEDx, 30 janvier 2020. [En ligne] : https://www.youtube.com/watch?v=aeKUTq6I_FA
  23. Site de Valéry Grancher : https://www.valerygrancher.com/corona
  24. « Manifeste de la peinture augmentée » : https://peinture-augmentee.com/la-peinture-augmentee/
  25. « Manifeste Ultradinámico » de Felipe Pantone : https://pant1.tumblr.com/post/68362922525/ultradynamic-manifesto-ultradynamism-is-the
  26. « Manifeste pour un art actuel face à la crise planétaire » d’Hervé Fischer : http://www.hervefischer.com
  27. Pétition contre la mort d’ORLAN : http://www.orlan.eu/petition/
  28. Voir l’édition 2020 de la Cadaf [en ligne] : https://cadaf.art/online20/exhibitors
  29. Cf. « Art Domains et Ars Electronica lancent une exposition en ligne pour l’édition 2020 du festival » : https://ars.electronica.art/aeblog/en/2020/08/13/dotart-open-call/
  30. Voir sur le site de l’Unesco : « La culture, un besoin vital en temps de crise », 29 mars 2020. [En ligne] : https://fr.unesco.org/news/culture-besoin-vital-temps-crise « La culture, bien commun essentiel et source de résilience. De nombreux pays ont fermé leurs musées, salles de spectacle et autres lieux culturels en vue de stopper la pandémie de Covid-19. La culture se déplace en partie sur l’Internet, les réseaux sociaux, et aux balcons des habitations des grandes villes. »
Bibliographie

Ouvrages

  • Bey : 2014. Hakim Bey, TAZ. Zone autonome temporaire, trad. par Christine Tréguier, Paris, L’Éclat, 2014. Texte original : T.A.Z. The Temporary Autonomous Zone. Ontological Anarchy, Poetic Terrorism, Autonomedia, 1991.
  • Collectif Comm’un : 2019. Collectif Comm’un, Habiter en lutte. ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Quarante ans de résistance, Paris, Le Passager clandestin, 2019.
  • Pignocchi : 2019. Alessandro Pignocchi, La Recomposition des mondes, postface d’Alain Damasio, Paris, Seuil, 2019.
  • Sterling : 1988. Bruce Sterling, Islands in the Net (Les Mailles du réseau), Westminster, Arbor House, 1988.

Articles scientifiques

  • Anfinrud, Stadnytskyi : 2020. Philip Anfinrud, Valentyn Stadnytskyi, « Visualizing Speech-Generated Oral Fluid Droplets with Laser Light Scattering » (« Visualisation des gouttelettes de liquide oral générées par la parole à la diffusion de la lumière laser»), The New England Journal of Medicine, publié le 21 mai 2020 et reprenant l’article du 15 avril 2020 : https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/nejmc2007800
  • Boyer, Lançon, Malbos : 2013. Laurent Boyer, Christophe Lançon et Éric Malbos, « L’utilisation de la réalité virtuelle dans le traitement des troubles mentaux », La Presse médicale, Elsevier-Masson, novembre 2013. [En ligne] : https://www.researchgate.net/profile/Eric-Malbos/publication/259132830_L%27utilisation_de_la_realite_virtuelle_dans_le_traitement_des_troubles_mentaux/
  • Caye : 2015. Pierre Caye, « En finir avec la destruction créatrice », CNRS Le Journal, 9 novembre 2015.
    [En ligne] : https://lejournal.cnrs.fr/billets/en-finir-avec-la-destruction-creatrice
  • Ginhoux, Grau, Riera : 2014. Romuald Ginhoux, Carles Grau et Alejandro Riera, « Conscious Brain-to-Brain Communication in Humans Using Non-Invasive Technologies » (« Communication consciente de cerveau à cerveau chez les humains utilisant des technologies non invasives »), PLoS ONE, 19 août 2014. [En ligne] : https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0105225

Articles de presse

Conférences

  • ABK, « La peinture augmentée, révélatrice de notre époque ! », conférence TEDx, 30 janvier 2020. [En ligne] : https://www.youtube.com/watch?v=aeKUTq6I_FA
  • ABK et Jean-Benoît Dunckel, « Quelles relations entre les imaginaires et le futur ? », prise de parole animée par Chloé Luchs (Plurality University) sur la chaîne YouTube de Tomorrow for Good, 6 juin 2020.
    [En ligne] :  https://www.youtube.com/watch?v=Qyq7jxL3n2Q

Webographie