Appel à contributions #5 Art, science et biodiversité sous-marine

Simulation d'une œuvre pour un parcours d'exposition sous-marin. Image réalisée avec Firefly

Cette planète que nous appelons Terre et que nous devrions probablement renommer Océan souffre de bien des maux. Les dérèglements des mers et des océans comptent parmi les plus graves. L’océan, comme le souligne le philosophe de la perception Roberto Casati, « oscille métaphysiquement entre le statut de pur lieu et celui de matière en mouvement1 » ; il possède une puissance inégalée dans l’imaginaire des conteurs, écrivains, peintres et autres rêveurs. Mais, aujourd’hui, sa force et ses mystères sont en danger. L’écosystème marin dans son entier est en passe d’être détruit, tandis que règne un déni quasi généralisé sur l’urgence à laquelle nous sommes confrontés. La dégradation de la biodiversité marine, laquelle joue un rôle crucial dans la régulation du climat, la production d’oxygène et la fourniture de nourriture pour de nombreuses populations, est devenue un indicateur incontournable.

D’ici à 2050, cet effondrement de la biodiversité marine, interférence directe ou indirecte de l’activité humaine, menace les récifs coralliens de disparaître, les ressources des systèmes littoraux de s’amenuiser, notamment les mangroveset les herbiers de posidonies. Depuis plusieurs siècles et de façon exponentielle ces soixante-dix dernières années, trop d’espèces ont disparu des fonds marins, des centaines sont en voie de disparition. Ces extinctions ne concernent pas seulement le monde animal et végétal, elles impactent les conditions d’existence de l’humain (migration des populations face à la montée des eaux ; conséquences sur les secteurs économiques, sociaux, environnementaux). L’ONU, l’Europe, par exemple, ont modifié leurs approches : là où les directives préconisaient de ne rien toucher, désormais « il faut réparer ». De nombreuses associations œuvrent pour informer le public et accompagner des changements de comportement. Mais comment le toucher profondément et durablement ? Outre notre dépendance à la biodiversité, cette dernière est aussi source d’innovation et de solutions durables, notamment grâce au biomimétisme.

L’art peut faire appel à la sensibilité du public en deçà de tout raisonnement, transmettre d’humain à humain. Nombre de projets s’intéressent à la préservation de la biodiversité marine par différentes stratégies artistiques ou modalités créatives, qui chacune font sens : par le recyclage (Pascal Frieh, Gilles Cenazandotti, Kirsty Elson) ; par des propositions de paysages immergés ou immersifs (Initium Maris de Nicolas Floc’h, Digital Abysses de Miguel Chevalier) ; par des déploiements technologiques imaginaires inquiétants, fascinants ou drôles (Herbarius 2059 de Miguel Chevalier et Jean-Pierre Balpe, Flora incognita de Vincent Fournier, Anatomie comparée des espèces imaginaires de Jean-Sébastien Steyer et Arnaud Rafaelian, les arthropodes du bestiaire utopique d’Anima (ex) Musica de Mathieu Desailly, Vincent Gadras et David Chalmin ou encore l’exploration des abysses par Miquel Barceló2). Il faut citer également la cinquantaine d’artistes qui, depuis plus de vingt ans, ont été associés aux missions de la Fondation Tara Océan3, née en 2003 pour « soutenir la connaissance de l’Océan, tout en renforçant la prise de conscience de son importance vitale au quotidien auprès des décideurs, du public et des plus jeunes ». Parmi eux4, Yann Bagot5, dont les dessins sont nés des paysages traversés par la goélette Tara et des travaux scientifiques réalisés à son bord, ou encore l’artiste-chercheure Laure Winants, dont le projet en cours est de « capturer l’impact des polluants sur le littoral par le biais de la lumière du microscope et par une technique photographique expérimentale et interactive : les photogrammes/chimigrammes ». 

De nombreuses manifestations consacrent désormais leur thématique à l’océan, parmi lesquelles récemment : l’édition Ocean-Space-Ocean du projet More-than-Planet dans le cadre d’ISEA Paris 20236 et le festival Les AnthropoScènes7 d’Évreux en 2024. L’art a un rôle crucial à jouer dans notre appréhension du monde et dans le devenir de celui-ci. Le sensible qu’il met en jeu n’est pas désinvesti de la conscience des problèmes. La démarche qu’il implique se joue au-delà du simple divertissement et des heureux égarements dans les dérives de l’imagination ; elle se fonde sur des données scientifiques qui attestent de la situation de péril du vivant du monde sous-marin. En parallèle avec les projets de recherche Répertoire précieux des formes (RPF, 2024) et VIV’Océan (2025)8, le présent appel à contributions interroge les articulations entre art, science et biodiversité sous-marine.

Comment l’art peut-il sensibiliser à la question du vivant des océans, motiver son respect, inciter à changer les comportements ? Sans renoncer à sa propre valeur, comment parvient-il à articuler les significations engagées que l’artiste souhaite transmettre, mieux, à les faire comprendre intimement ? Quelle part d’imaginaire nourrit-il ? À quels mythes peut-il faire appel ? 

L’étude de ces questions devra se fonder sur des exemples précis d’œuvres, référencés, analysés.

Les exemples de projets arts-sciences, en particulier, sont les bienvenus. Ils donneront à repenser l’articulation entre les approches scientifiques pointues (biologie, paléontologie, géologie, géographie, mais aussi sciences humaines, anthropologie, philosophie, sciences de l’information et de la communication, etc.) et les propositions artistiques. Quelle ouverture l’art offre-t-il aux sciences du vivant ?

De telles analyses pluridisciplinaires doivent aussi tenir compte de nos sociétés numériques. En quoi les nouvelles technologies ménagent-elles une voie spécifique de traitement de l’étude du vivant comme de réponse artistique aux problématiques soulevées ? Les nouvelles esthétiques modifient-elles l’appréhension et l’interprétation du sensible ? Complexifient-elles les défis de notre rapport au vivant ?

Enfin, la double question de l’adresse au public large et de l’efficacité politique reste une piste à interroger. Quelles sont les passerelles possibles entre production scientifique, création artistique et vulgarisation ? En quoi certaines œuvres ou certains projets arts-sciences peuvent-ils guider les politiques publiques et renvoyer à nos inestimables biodiversités marines ? 

Modalités de proposition

Les personnes souhaitant soumettre un article (de 10 000 à 30 000 signes) sont invitées à envoyer une proposition comportant un résumé (de 250 mots), une bibliographie indicative et une courte biographie (de 150 mots) conjointement à cecile.croce@iut.u-bordeaux-montaigne.fr et à mldesjardins@artshebdomedias.com

Les propositions peuvent être soumises jusqu’au 15 septembre 2024.

Une réponse sera rapidement donnée ; la date de remise des textes est fixée au 27 octobre 2024, pour une publication à compter de la saison de décembre 2024.

Notes de bas de page

  1. Roberto Casati, Philosophie de l’océan, PUF, 2022.
  2. Voir l’exposition Miquel Barceló, océanographe, jusqu’au 13 octobre, Villa Paloma, à Monaco.
  3. Voir : https://fondationtaraocean.org
  4. Une rétrospective des artistes résidents de la goélette de la Fondation Tara Océan se tiendra du 16 novembre 2024 au 2 mars 2025, au Centquatre-Paris.
  5. Voir : https://fondationtaraocean.org/artistes/yann-bagot/
  6. Vidéos disponibles en ligne : https://www.more-than-planet.eu/logs/videos-more-than-planet-symposium-the-ocean-space-ocean-edition-at-isea-2023-symbiosis
  7. Voir : https://www.letangram.com/festival-les-anthroposcenes-2024
  8. Depuis l’été 2023, l’unité de recherche MICA (université Bordeaux-Montaigne) et l’association ADE Méditerranée ont entrepris un projet au long cours de sensibilisation esthétique à la préservation de la biodiversité sous-marine par la médiation artistique et la médiatisation de l’information, donnant lieu à un colloque (Forum Menton, mars 2024) et engageant un travail de création artistique par des binômes artiste-scientifique ainsi qu’un travail avec les scolaires et à destination du monde socio-économique et politique. En 2025, le Répertoire précieux des formes (RPF) est prolongé et amplifié par le projet VIV’Océan (manifestation scientifique et artistique, Bordeaux). Voir Alexandra Boucherifi (2024), « Des formes pour que vive le précieux océan », restitution du Forum RPF Menton 2024, https://www.artshebdomedias.com/article/des-formes-pour-que-vive-le-precieux-ocean/