Table des matières
Introduction
Nourri par les dernières innovations technologiques, le jeu vidéo a évolué aux frontières du produit socioculturel et de l’œuvre d’art, avant d’être reconnu officiellement comme un art à part entière par le ministère de la Culture en 2006. Celui-ci génère à la fois l’interactivité intellectuelle de nos identités fluctuantes et une volonté physique (dans la gestuelle) de changer de mondes. Notre contribution ambitionne ainsi de questionner notre « je », notre moi en soi, en donnant du sens à sa fonction ludique, dans le prolongement des problématiques identitaires et sociales qui transcendent les limites de notre corps-sujet transformé en corps-objet, si l’on en-visage le corps-sujet comme être un corps et le corps-objet comme avoir un corps. Une multiplication des identités qui interroge assurément.
Pour mieux étayer notre propos, nous nous appuierons sur les théories de Paul Ricœur (1996), puisque le « je » reste la problématique centrale de sa philosophie, quand « dire soi, ce n’est pas dire je » et tout en sachant que « le soi peut aussi être considéré en tant qu’autre » (Ibid., p. 30). Plusieurs approches psychanalytiques de Frédéric Tordo (2012) nous permettront également d’aborder ce « je », ce « moi » articulé à un autre, à ce qui est autre que le moi ? Et comment peut-on être autre à soi-même ? Notre problématique s’inscrit résolument sur ce phénomène d’altérité et son corollaire dans le jeu vidéo : l’identification à un autre que soi.
« Quand “je est un autre1”, les autres ont intérêt à savoir jouer le jeu2… » Cette formule célèbre de Rimbaud interroge les connexions intimes entre identité et altérité. Ce dépassement de soi met en lumière la question de l’être et combien de voix résonnent et raisonnent en soi. Ce rapport à autrui, dans sa multitude d’identités, constitue un vecteur essentiel pour s’intégrer au mieux dans le jeu vidéo. Afin d’illustrer notre étude, il nous semble intéressant par ailleurs de s’attarder sur certaines réflexions de Matthieu Triclot (2017) quant à la proximité ou non du jeu vidéo avec le cinéma, dont le procédé et les sujets vont influencer le jeu, avant que celui-ci ne finisse par l’influencer.
Pour tenter de répondre à ces questions, nous examinerons méthodiquement l’esthétique de ces univers ludiques liés aux technologies contemporaines, avec, entre autres, ceux de Rebecca Allen (The Bush Soul, 1999) et de Theo Triantafyllidis (Pastoral, 2019), qui creusent de nouveaux sillons à l’ère numérique, de l’individualisme à l’universalisation.
De plus, comme nous l’avons indiqué auparavant, pour Mathieu Triclot (2017, p. 81 et p. 95), « ils sont jeux mais aussi vidéo », tout en déployant un autre « discours en images », à l’instar d’un cinéma interactif avec ses propres normes et ses dispositifs hybrides créant un rapport différent à l’image. Ce parallèle avec le 7e art, certes controversé, nous a conduite cependant à analyser plusieurs longs-métrages, comme Free Guy (2021) ou L’Autre Monde (2010), qui portent un regard pertinent, sous forme de mise en abyme, avec une mise à distance, sur une représentation du « je » dans le jeu vidéo.
Afin de bien délimiter le cadre théorique de notre étude, nous énoncerons tout d’abord quelques définitions appropriées à ces dispositifs immersifs ludiques. Puis nous aborderons plus particulièrement la problématique de l’identité numérique du joueur dans sa globalité (esprit virtuel et corps fictif). Et parce que ce moi « je » nous semble inséparable de son environnement réel ou imaginaire, nous rapprocherons enfin ces manières d’être au monde avec d’autres mondes. Une vision distanciée des jeux vidéo suggérée par certaines œuvres ou adaptations filmiques nous permettra aussi de tenter une approche différée et différente, tel un tableau dans un tableau… Comme un « je » dans le jeu.
1. Le jeu vidéo, un art interactif et immersif ?
Comment définir les jeux vidéo ? Sont-ils des programmes informatiques, des œuvres d’art, des outils de simulation, de nouveaux mondes, comme l’indiquent Rufat et Minassian (2011, p. 6) ? Blaise Mao (2013, p. 13) les englobe dans un ensemble qui réunit le jouet, le bien culturel, le médium… Mais avant d’être vidéo, qu’est-ce qu’un jeu ? Pour Winnicott (cité par PERINO : 2014, p. 64-65), le jeu constitue un espace transitionnel, un intermédiaire d’expériences qui ne dépend ni de la réalité intérieure ni de la réalité extérieure. Dans la langue française, le jeu désigne à la fois l’activité de jouer, mais aussi l’artefact qui représente la chose avec laquelle on joue (ALVAREZ : 2023, p. 16). Roger Caillois a défini quatre impulsions fondamentales (cité par TRICLOT : 2017, p. 52-53) en catégorisant les axes dominants du jeu dans sa pratique, selon plusieurs aspects : agôn (compétition), alea (hasard), mimicry (simulation et faire-comme-si) et ilinx (vertige) ; de plus, il concède deux caractéristiques à l’action ludique suivant la polarité ludus-paidia : ludus, jeux avec des règles, s’oppose à paidia, jeux libres. Selon Aristote (cité par HUIZINGA : 2022, p. 225), le mot paidia signifie aussi « amusement enfantin ». Le jeu se révèle comme un remède qui apaise et qui distrait l’âme. En revanche, ce terme suppose deux appellations différentes dans une langue anglaise plus nuancée : game désigne le jeu comme un dispositif structurel objectif, alors que play évoque une disposition subjective qui engendre une pratique comportementale ludique. Le jeu vidéo est ainsi devenu l’une des expressions les plus populaires de la créativité contemporaine, qui « sait inventer de nouveaux langages en exploitant le potentiel de l’interactivité » (MAO : 2013, p. 79). Les avancées informatiques à l’ère digitale ont aujourd’hui révolutionné le monde de l’art en complétant le statut du créateur, passant du démiurge au médiateur qui anime des interactions avec le public. Comme le jeu, l’art possède une part fictionnelle et symbolique qui génère des représentations où les sentiments de l’artiste et du public se répondent. Certaines activités vidéoludiques, sur fond de mythologie, véhiculent des messages culturels évidents qui les apparentent à des objets artistiques suscitant des émotions et des plaisirs esthétiques, tout en élevant l’âme de leur utilisateur. Pour exemple, Age of Mythology (2002) nous présente un jeu vidéo très bien documenté, qui invite le joueur à revisiter la mythologie grecque, égyptienne ou scandinave en intégrant des personnages connus et en reconsidérant des batailles légendaires. Le participant est notamment chargé de faire évoluer une civilisation à travers les âges.
D’après Couchot et Hillaire (2003, p. 90), avant d’être reconnu dans la catégorie « art » en 2006, le jeu vidéo s’en approchait déjà grâce à son esthétique et aux moyens hybrides employés (vidéo, graphisme, musique, technologie informatique). Comme les autres arts, le jeu vidéo nous autorise-t-il à bouleverser notre vision du monde afin de mieux en appréhender les contradictions, les excès, les tourments, les vicissitudes ? En investissant certains marqueurs de notre époque, les développeurs confèrent un statut de culture à part entière aux jeux vidéo, en unissant l’intime au collectif. La généralisation de l’informatique et l’expansion des réseaux sociaux ont permis à tous les utilisateurs de se connecter plus facilement aux plates-formes dédiées aux jeux vidéo, avec cette notion commune de partage. La sphère vidéoludique s’enrichit alors d’expérimentations novatrices avec des moyens de programmation participatifs et alternatifs, qui concèdent au joueur la faculté de devenir un véritable acteur actif.
2. L’identité en « questions » dans le jeu vidéo
Mais comment représenter justement cet acteur-joueur, le moi « je » à l’écran, le moi interactif ? Pour définir une identité, faut-il prendre en compte la mêmeté, prise comme marqueur de ressemblance ? Ou plutôt l’ipséité que décrit Ricœur (1996, p. 11-37), la définissant comme l’individualité proprement humaine, telle une conscience de soi ? En d’autres termes, ce qui fait qu’une personne est unique et absolument distincte d’une autre. Est-ce également une identité évaluée comme la part de soi qui n’est pas vraiment soi ? Si l’on en croit Frédéric Tordo (2012, p. 119), une forme spécifique de transfert dynamique se développe dans le jeu vidéo entre le joueur et l’avatar, cette créature insolite qui, à l’instar de l’adage rimbaldien où « je est un autre », s’actionne avec d’autres « je ». Par ailleurs, nous pouvons aussi nous poser cette question : comment se révéler « soi-même semblable à un autre ou soi-même en tant que… autre » (RICŒUR : 1996, p. 14) ?
L’identité en ligne nous livre une forme d’expérimentation de soi (CARDON : 2020, p. 437-438). L’individu se matérialise par un avatar spécifique, en fonction de sa manière d’être. L’avatar représente, dans la culture brahmanique hindoue, la métamorphose corporelle d’une divinité (notamment Vishnu) qui, sous une apparence animale ou humaine, descend sur Terre afin de sauver l’humanité des désordres liés au non-respect du dharma (BOYER : 2012). Ce dernier constitue un ensemble de lois qui permet de se réaliser soi-même.
Cette posture complexe et paradoxale génère toutefois le dualisme de l’âme et du corps, qui peuvent également se confronter suivant les conditions imposées par l’activité ludique. Ainsi, dans I.Mirror by China Tracy, Cao Fei dévoile les capacités des univers numériques issus de Second Life, dans lesquels les limites entre virtuel et réel s’avèrent des plus confuses et où l’identité fluctuante permet aux utilisateurs d’incarner plusieurs personnes selon leur désir. L’avatar d’un jeu vidéo s’exprime alors par ses différentes interactions, dans une forme de récit où l’internaute doit s’impliquer. En effet, la narration, en imposant l’accomplissement d’un projet, passe par le désir d’obtenir quelque chose (argent ou pouvoir, par exemple) pour le joueur. Cet « objet » en question entre dans un processus de communication, puisqu’il passe d’un destinateur à un destinataire (GENVO : 2009, p. 646).
Le joueur peut aussi s’affirmer selon deux situations diamétralement opposées : l’une subjective en habitant pleinement son avatar et en contemplant le monde « avec ses yeux » ; et l’autre plus distanciée, où il préfère le regarder évoluer avec une vision détachée de soi, comme s’il se percevait lui-même dans un rêve. À l’écran, cette « créature vide et neutre » peut ainsi incarner une version idéalisée du joueur : « Le sujet, en habitant cette figure idéalisée, apaise son angoisse d’incomplétude », remarque Maxime Coulombe (cité par MAO : 2013, p. 114-115). En s’autorisant une forme rêvée de lui-même notamment sur le plan physique, comme dans le film Avatar (où un personnage handicapé retrouve l’usage de ses jambes), l’utilisateur se retrouve en mesure de revivre de nouvelles aventures. Finalement, l’un se nourrit de l’autre, quand l’autre se nourrit de l’un.
Doom3 (1993) va révolutionner le genre grâce à sa réalisation dans un environnement en trois dimensions. En popularisant la vue à la première personne (first person view) grâce à laquelle le joueur a l’impression d’une caméra posée au-dessus de l’épaule, le jeu bascule dans une subjectivité concrète qui crédibilise davantage l’univers virtuel. L’avatar a disparu, le joueur devient lui aussi un héros du jeu. Celui-ci se retrouve à la place de la caméra, elle-même située à la place d’une arme pointée vers le monde alentour (TRICLOT : 2017, p. 95). De plus, on n’est pas à la place de l’arme mais bel et bien en face de l’arme, comme si on la portait… Mathieu Triclot (Ibid., p. 24 et p. 95) indique en revanche que le FPS (first person shooter) a concentré autour de lui une bonne part de controverses. En effet, à la suite de la tuerie de Columbine en 1999, l’enquête a révélé que les deux criminels étaient de fervents amateurs de jeux vidéo, et notamment de Doom. Cette tragédie humaine a entaché de manière significative la pratique vidéoludique, qui devient dès lors synonyme de violence incontrôlée et dangereuse, soumise au pouvoir de la vue FPS, semblable à un moteur d’identification. Comme si l’homme, devenu un autre, ne différenciait plus la fiction de la réalité.
En révolutionnant le jeu vidéo, Doom a cependant engendré une vision subjective, désormais utilisée dans de nombreux genres, pour figurer un personnage situé au plus près de son moi. Tordo compare ainsi l’auto-empathie virtuelle à un pouvoir de se penser « comme vu par autrui », laissant l’avatar symboliser une fausse figure d’image de son moi (TORDO : 2012, p. 119). Le moi serait-il par ailleurs une forme tonique du « je » ?
La culture du moi et la conscience de soi-même
Le « connais-toi toi-même » de Socrate, doublé de sa formule « rien de trop », nous rappelle qu’il nous faut rester dans les limites de notre condition humaine. Dans l’Antiquité, cette culture de soi ne faisait pas de l’individu son but ; elle visait à l’élever au-dessus de lui-même, vers l’idée intelligible (BRAGUE : 2020, p. 74), à l’inverse de l’injonction moderne « sois toi-même ». Nous pourrions d’ailleurs compléter notre propos par cette citation de Nietzsche : « Deviens qui tu es », qui suggère que l’individu doit d’abord bien se connaître lui-même, avant de pouvoir pleinement se réaliser.
De la révolution industrielle à la mutation digitale, nous assistons ainsi à un changement de paradigme, mais aussi à une modification du rapport à soi-même avec une évolution de l’identité. « Ce qui reste hors-jeu, c’est le jeu… […] à la place vient le mythe d’une identité purement narcissique, celle du moi = moi ou du moi = l’autre ou ce qui revient au même du “moi ou moi l’autre” » (LEGUIL : 2018, p. 103-116).
Le moi s’inscrit à la première personne, tandis que le soi se conjugue à la troisième personne, comme s’« il » était un autre. Il n’existe pas de moi indivisible, homogène et constant, de même qu’il n’existe pas de véritable ou de faux moi (BESSONE : 2020, p. 52). Peut-on imaginer un « je » qui représentait un objet ? Celui-ci se singulariserait alors par rapport au moi, dans une version du narcissisme propre à l’ego, lorsque le sujet entreprend de se dire intimement.
Le moi, indissociable du monde qui l’entoure, fait dire à Clotilde Leguil (2018, p. 28) que « la copie digitale du monde que nous sommes en train de créer, nous conduit également à une copie digitale du moi ». Le « je » constitue-t-il alors un point de vue privilégié sur le monde ?
Selon Audrey de Céglie et Robin Recours (2011, p. 117-136), grâce aux réseaux sociaux, les internautes construisent aujourd’hui leurs identités numériques en fonction de leurs identités physiques. Cependant, une individualité fictive très lointaine de leur entité corporelle leur permet aussi de vivre et de survivre dans l’univers virtuel. Cardon, cité par les deux auteurs (Ibid., p. 118), définit ce personnage digital d’après certaines caractéristiques identitaires qui se créent lors d’interactions liées à des représentations sociales, notamment autour des mécanismes communicationnels et relationnels des utilisateurs du jeu vidéo. Comme le recommande le Cyborg Manifesto de Donna Haraway (1991), les joueurs peuvent redéployer dans l’espace de jeu leur identité, en y testant différentes facettes.
D’après Audrey de Ceglie et Robin Recours (2011, p. 125), une forme de perturbation des identités peut se constituer aussi entre le « je » et le « tu », lorsque ce dernier désigne son avatar en situation d’échec, tandis que le « je » revient en force en cas de victoire. Et que penser du « nous » ? La rencontre du « je » avec le « nous » semble indispensable pour se nouer avec un autre. Le « nous » n’est pas composé d’un moi et de son complément, mais précisément de l’ajout de moi et d’un ou de plusieurs autres (BESSONE : 2020, p. 50). L’identité personnelle reste subjective (« je »), mais l’identité collective se révèle objective en incarnant la responsabilité du « nous », partagée avec une altérité. Il s’avère alors illusoire de saisir l’identité collective en démultipliant les identités individuelles pour la produire par simple addition. Dans le « je » du jeu, celui-ci peut y développer des personnalités multiples, qui bâtissent sa façade sociale entre réel et virtuel comme des paradigmes de soi-même. L’échantillon présenté lors de la biennale internationale Némo4 donne l’idée d’un tout en une seule fois, quand l’échantillonnage, dans la pratique artistique, permet d’assembler, pour réassembler par exemple, les sons ou les images jusqu’à les épuiser. Paul Ricœur (1996, p. 11-37) évoque, pour sa part, le « je » en tant qu’échantillon, avec l’homme comme simple échantillon de l’Espèce. En ligne, les joueurs n’offrent que des fragments d’eux-mêmes, pour ne jamais se livrer entièrement, mais en se révélant sous plusieurs formes ou identités et en traçant une boucle continuelle entre le réel et le virtuel.
Cette notion de soi-même, abordée dans l’œuvre de Luyang (Material World Knight, 2018), nous montre comment le héros, franchissant des étapes supérieures de conscience, finit par s’apercevoir que le monde matériel ainsi que l’idée d’un soi-même permanent s’avèrent totalement utopiques.
Dans le film américain Free Guy, le PNJ éponyme (personnage non joueur d’un MMORPG [Massively Multiplayer Online Role-Playing Game]) va réussir à s’affranchir des consignes informatiques qui régissaient sa vie quotidienne, après son coup de foudre pour Millie, une joueuse confirmée et programmeuse de Free City. Tout au long de cette comédie fantastique, Guy fera tout pour protéger ses frères d’armes. Cette plate-forme ludique était destinée à promouvoir l’intelligence artificielle (IA), en souhaitant la faire évoluer ; Millie prend alors conscience que c’est Guy, en quête d’émancipation, qui représente l’aboutissement vivant de cette incroyable progression. Ce héros de la routine appartient à la figuration d’un monde fermé, entièrement fictif et sans espoir d’extériorité. Soumis à la pensée unique de l’algorithme, il avançait sans espoir d’autonomie dans un univers lissé, où tout était programmé à l’avance : Selon Octave Larmagnac-Matheron (2021), « le monde, intégralement soluble, semble se vaporiser, se dissoudre, se réduire à une image, à une représentation, à une pensée sans être ». Mais l’univers imaginaire de Guy n’est-il pas si éloigné du nôtre ? À l’instar des théories cartésiennes, ce PNJ ne cherche-t-il pas lui aussi, dans la fugacité du monde, à imposer « un point de certitude et de résistance : soi-même » ?
D’après Descartes (2016), le moi, en tant que substance pensante dans sa réalité permanente, constitue qui je suis en tant qu’être humain, selon mon identité extérieure et visible, qui permet d’affirmer ma singularité vis-à-vis d’autrui. Le soi représente notre essence essentielle, la personne que nous sommes au fond de notre cœur et qui se compose d’une part secrète et invisible. Descartes différencie alors le sujet de l’objet en définissant le premier comme un individu doué de subjectivité, qui dispose de sa propre perception de la réalité, à l’inverse du second. Le sujet, en qualité d’entité pensante, possède par conséquent une conscience de lui-même, de son identité propre (le moi), qui se trouve en mesure de dire « je » en parlant de lui-même (WEBER : 2023, p. 96-102). Cette expression nous amène à reconsidérer l’individu dans son identité propre ou la conscience qu’il peut avoir de lui-même. Mais Guy, en tant qu’IA, peut-il en avoir conscience ? Le héros PNJ serait-il devenu lui aussi une chose qui pense, qui doute, douée d’une volonté et de sentiments ? « JE PENSE », avec sa dimension métaphysique, suppose « donc JE SUIS ».
Le double face à son miroir
Comment envisager l’identité personnelle pour le moi ? Il s’agit avant tout de se frayer un passage entre l’identité réelle et le double en ligne. Clotilde Leguil (2018, p. 11-22), pour sa part, évoque aussi l’IA qui s’impose dans nos vies, en s’exprimant à notre place. Elle souligne par ailleurs la nécessité de traverser le stade du miroir pour accéder à notre désir. Et si l’on considère les théories lacaniennes concernant le stade du miroir chez l’enfant, le joueur pense également qu’on l’observe alors que c’est en fait lui-même qui s’observe. « Le stade du miroir électronique est une transformation produite chez le sujet lorsqu’il cherche à se définir depuis ce double de lui-même qu’est l’image virtuelle. » L’utilisateur se retrouve alors face à face avec son personnage miroir qui « le regarde ». L’identification imaginaire du joueur à son avatar l’autorise à le signifier comme un objet représenté dans un portrait qu’il a produit. « De manière identique, quand le joueur regarde son avatar, ce qu’il voit c’est, en partie, lui-même » (TORDO : 2012, p. 124). Ce personnage fictif peut se manifester comme une (re)production de l’utilisateur lui-même ou comme la réalisation d’un être unique (mais dupliqué ?). Le double, sous forme d’une seconde figure de l’identité, se retrouve différencié mais indissociable d’elle, en complétant l’idée de soi : « le “je” est un autre », tel le même, mais comme un double (DUPRAT : 2020, p. 297).
En s’engageant plus loin dans ce processus, par une sorte de mise en abyme, l’œuvre Immersion de Robbie Cooper (2008) se fixe sur les visages fermés d’adolescents devant leur écran informatique, totalement absorbés et fascinés par cette action ludique. Immersion questionne autant sur la façon de regarder que sur celle d’être regardé. Cette posture permet au regardeur (spectateur) que nous sommes de regarder le regardeur (joueur) qui regarde en tant qu’acteur (de jeux vidéo). Nous pouvons ainsi constater que cette relation complexe – qui suggère alors que le moi du sujet « se regarde en train de se regarder et se pense en train de se penser » (TORDO : 2012) – se constate aujourd’hui par une hypertrophie du narcissisme, dans le culte du moi, suivant une vision technologique de l’image reflétée par le miroir.
Et comme le remarque encore l’auteur :
Dans le personnage virtuel, le joueur se voit comme double, c’est-à-dire à la fois en tant que lui-même, et dans le même temps, comme autre que soi. Son avatar devenant, au propre, un autre moi-même (TORDO : 2012, p. 125).
De même, l’individu met aussi en jeu une part subjective de lui-même, puisque c’est lui qui anime la gestuelle de son avatar, projetée à l’écran.
Le corps virtuel prend corps
Le joueur doit se modeler un corps virtuel doté d’un autre imaginaire adapté aux actions ludiques, tout en instaurant toujours une certaine distance. Chez Huizinga (2022, p. 65), le mot plegan désigne le « jeu », l’action de « jouer », et signifie aussi « mouvement rapide, geste et actions concrètes ».
Frédéric Tordo (2012, p. 120) se réfère à Didier Anzieu pour définir l’avatar en tant que peau numérique, puisque son corps s’anime en prolongement de la main de l’utilisateur et en arrive même à se confondre avec le corps tout entier du joueur. Comment peaufiner notre profil virtuel avec ce corps interface, lorsqu’il devient poreux et traversé par ces outils techniques ? Notre bonheur de jouer fait participer ainsi notre corps-sujet certes, mais également le corps d’un autre. Comment celui-ci intervient-il dans la construction du sentiment d’identité avec cette conscience d’exister ? Ce double de soi-même, sous la forme d’un avatar, évolue comme un « je est un autre », dans un jeu comme un autre. Cette forme ambiguë de dédoublement se traduit par une projection de soi-même dans une représentation différente de soi-même. L’avatar agit-il comme un bouclier protecteur ? Se retrouve-t-on dans la peau d’un autre ? Tel un masque anonyme derrière lequel on se cache pendant le carnaval.
L’avatar permet d’explorer plusieurs identités, de mener une double vie, plusieurs vies dans plusieurs mondes. Selon Blaise Mao (2013), le jeu vidéo a évolué avec le temps, par l’entremise d’une expérience physique qui engage tous nos sens et d’un corps devenu manette connectée à l’imaginaire. Certains jeux ubiquitaires (Urban Rivals) nous transportent d’ailleurs dans un autre monde des possibles, en évoluant de plate-forme en plate-forme (smartphone, tablette). Tous ces jeux, en s’intégrant au plus près de nos corps, peuvent détecter notre état émotionnel en se greffant à nos fonctions sensorielles. Le jeu vidéo alternatif, dans sa pratique protéiforme, en explorant des domaines graphiques ou performatifs dans une installation vidéo immersive, invite le « spect-acteur » à changer de rôle pour mieux se « reconnecter » au vivant (Ibid., p. 29-32).
Dans Pastoral, Theo Triantafyllidis, s’attarde, non sans une certaine poésie, sur la frontière ténue entre le champ virtuel et le champ réel, tout en posant son regard sur la place des corps qui occupent ceux-ci. Dépourvu d’action violente, l’avatar queer de l’artiste déambule dans un décor idyllique. Le joueur se perd au milieu d’une prairie baignée de soleil, sans autre objectif que de stimuler ses propres fantasmes dans un monde du jeu sans jeu, hors-jeu, dans une flânerie pastorale ; et son alter ego queer nous renvoie à la recherche de soi-même (Connaissance des arts : 2023). Lorsqu’on part à la poursuite de soi-même, on se cherche, en commençant par se perdre. Mais à force de vouloir vivre imaginairement dans la peau d’un autre, le sujet ne passe-t-il pas à côté de sa véritable vie ? Il continue de se perdre dans le monde de l’autre. Face au numérique, chacun peut devenir une autre personne ou même plusieurs personnes au milieu des autres. Et le jeu vidéo propose aux internautes en ligne d’explorer cette faculté précieuse d’interagir avec un monde digital.
Mais comme l’indique encore Clotilde Leguil :
L’individu de la mondialisation est devenu cet être informatique branché sur des appareils qui prolongent son corps et le rendent conforme à ce nouvel univers rhizomique qui est aussi le même pour tous (LEGUIL : 2018, p. 15).
3. Comment le « je » entre en jeu avec les autres mondes
« On ne joue pas au jeu coupé du monde », même si on joue seul, côte à côte, en famille, on joue aussi à plusieurs, parfois jusqu’à plusieurs millions (DIOUF, WORMS : 2013). On peut aussi évoquer une sorte de solitude collective, où l’on joue ensemble mais séparément.
Comme le remarque Cynthia Fleury (2023), sous couvert d’un rêve d’inclusivité, n’est-ce pas plutôt de l’exclusion qui est générée ? Certes, mais des liens sociaux véritables peuvent aussi se nouer dans la vraie vie.
Dans le film L’Autre Monde, Gaspard rencontre Sam sur un jeu en ligne, Black Hole. En voulant côtoyer Sam dans le monde réel, son existence va s’en trouver totalement bouleversée. En effet, derrière son avatar se cache la sombre et lumineuse Audrey, un personnage double et inaccessible qui cherche un partenaire virtuel pour aller mourir sur une mystérieuse plage noire… L’Autre Monde raconte ainsi l’histoire tragique d’un adolescent (Gaspard alias Gordon) obnubilé par une jeune femme suicidaire. Le film aborde également les enjeux inquiétants de ces jeux extrêmes, comme les suicides, parfois proposés sur les réseaux sociaux sous forme de défi. Tout en associant l’univers réel à l’univers imaginaire, L’Autre Monde développe ainsi l’éternelle thématique d’Éros et Thanatos… Derrière l’avatar troublant de Sam se dissimule une véritable quête d’identité.
Dans les jeux vidéo, la fiction activée par le joueur alimente les réflexions qu’il peut porter sur le monde et sur lui-même. La part narrative relative à son identité, différente de l’identité personnelle en référence à l’ipse selon Paul Ricœur (1996), peut produire des récits susceptibles de stimuler l’imagination des joueurs. L’important reste toujours de croire sans y croire, phénomène psychologique activé en plongeant le spectateur dans un univers réaliste rendu possible grâce à la troisième dimension. À l’inverse du cinéma, où l’intrigue est bouclée d’avance, le jeu vidéo évolue en fonction des interactions du joueur qui agit par l’intermédiaire de son avatar actant – l’avatar se révélant être un moi en mieux, selon la formule de Blaise Mao (2013, p. 114). Les différentes interactions proposées permettent ainsi d’interpréter les conséquences d’actions réalisées dans un contexte narratif crédible, générant des réflexions sur les représentations d’un monde fictif, et non sur le monde lui-même. Avec de nouveaux « je », l’univers de demain peut-il être réécrit ? À l’ère digitale, quelle société envisager quand les frontières entre réel et virtuel s’avèrent de plus en plus poreuses ?
Que penser du film culte eXistenZ de David Cronenberg qui mêle, dans un registre très sombre, les « je » dans les jeux de l’illusion5 et de la réalité ? Allegra Geller, conceptrice de jeux informatiques, présente sa dernière création, eXistenZ, devant une assemblée d’amateurs. Ce jeu révolutionnaire permet de se brancher directement sur le système nerveux de l’internaute, via un bio port, un cordon ressemblant étrangement à un cordon ombilical, effaçant ainsi les frontières ténues entre illusion et réalité. Les utilisateurs sont reliés à un monde virtuel grâce à une console appelée pod et un trou percé en bas du dos du joueur. La démonstration d’Allegra vire à la catastrophe avec l’intrusion violente des Réalistes, un groupuscule d’exaltés farouchement opposé à la « technologisation » de l’être humain. Un des participants voulant s’approprier le jeu fait alors feu sur la programmeuse, qui s’enfuit blessée. eXistenZ, sorti en 1999, évoquait ainsi, avec un temps d’avance, les limites du réel, alors même que le virtuel n’était pas encore popularisé par les jeux vidéo et les réseaux sociaux. Le réalisateur, célèbre pour son obsession de l’hybridation corps-machine, interrogeait à nouveau le lien du « je » avec l’objet, entre technologie et existence, tout en opérant une véritable mise en abyme du jeu et même du cinéma. La dernière image du film laisse perplexe, dans une atmosphère troublante entre cauchemar et réalité. « Je » dans le jeu ou hors-jeu ?
Le monde numérique d’aujourd’hui se définit assurément comme un espace d’expériences variées qui confronte des protagonistes souvent incontrôlables et imprévisibles. C’est un véritable laboratoire qui introduit des procédés inédits stimulés aussi par les progrès de l’IA. Peut-on se prendre au jeu en s’inscrivant dans une situation libertaire ? Comme le revendique Colas Duflo (cité par ALVAREZ : 2023, p. 8), nous sommes libres de participer, mais en suivant les règles. Le jeu associe compétition, tirage aléatoire, esprit d’aventure avec d’autres prises de risque qui nous engagent sur le chemin d’un nouveau monde, animé de mouvements, de changements continuels. Celui-ci s’apparente à une construction sociale (Genvo cité par ALVAREZ : 2023, p. 17) et sa perception devient par conséquent subjective. Chaque identité possède ses propres filtres de perception, avec des écarts interprétatifs possibles, mais le jeu en ligne permet aussi d’échanger avec d’autres personnes dans le monde entier, en tissant de nouveaux liens sociaux. Notre réalité multiple s’enrichit ainsi de mondes virtuels à réaliser ; elle est maintenant guidée par des interactions qui nous engagent et où les « je » émergent ensemble au sein des jeux, puisque la société impose toujours à notre « je » d’y incarner plusieurs rôles.
La sphère vidéoludique nous offre ainsi un choix coloré d’expériences très variées selon leur usage comme objet de loisir, outil d’apprentissage ou moyen de communication. Le jeu vidéo est susceptible d’encourager des comportements violents qui s’avèrent généralement interdits dans la vie réelle. Ainsi, certaines identités numériques deviennent barbares lorsque les règles du jeu nous imposent d’enfreindre les normes sociales. Cette intrication de la réalité et du fictionnel susciterait en nous une désensibilisation, notamment face aux actes criminels. Notre monde digital reflète-t-il la brutalité de nos relations, digérée par des avatars évoluant souvent dans des rapports de force (PERINO : 2014, p. 57) ? On se demande si cette violence virtuelle ne sert pas de catharsis à l’individu, de plus en plus confronté à des agressions réelles.
Roger Caillois (cité par MAO : 2013, p. 94) pense que la transgression s’affirme comme le moteur du jeu, car jouer reste « faire semblant de, faire comme si, détourner les règles » pour inventer une réalité plus dangereuse mais plus distrayante, un monde sans interdits, avec une extraordinaire sensation de liberté.
Le carnaval, en inversant les rôles sociaux, autorisait autrefois des débordements souvent incontrôlables où s’exprimait une forme de jubilation émancipatrice. Aujourd’hui, cette jubilation a migré vers les univers virtuels. Cependant, des psychologues ont parfois constaté que la perte du réel ainsi générée semblait occasionner des troubles de la personnalité (asociabilité), voire un phénomène d’addiction rendu possible par le maniement répétitif et le plaisir décuplé de vivre (mieux ?) dans une autre vie. Le flow hypnotique du jeu peut nous rendre accros, la carapace virtuelle devenant alors une échappatoire. Il ne faut toutefois pas oublier que, même si la puissante immersion virtuelle est risquée, elle s’avère riche en rencontres et en découvertes (MAO : 2013, p. 97-103). Les jeux vidéo mettent alors en lumière certains enjeux sociétaux qui prennent parfois en compte les diversités sexuelles ou les pratiques queer.
Ils permettent ainsi de composer un terrain d’action dans lequel nous sommes conviés à exposer notre point de vue, en révélant une manière d’être au monde. Raphael Koster (2013, p. 99-106), en parlant de représentations sociales, décrit « des manières de penser, de sentir et d’agir ». Tout en étant absorbé par le jeu, l’internaute en ligne interagit certes en qualité d’acteur, mais il accorde également du sens à son activité. Par ailleurs, Jean Duvignaud (cité par KOSTER : 2013) perçoit, dans l’esprit ludique, une réelle manière de s’affranchir des normes sociales, lorsque ces diverses expériences laissent suggérer le désir, c’est-à-dire cette impulsion qui porte les individus à vouloir obtenir quelque chose qu’ils ne possèdent pas, d’où l’expression d’un manque.
Rebecca Allen a développé les premiers logiciels d’IA, qui ont constitué la base d’un nouveau style de l’art numérique. The Bush Soul (1999) fait référence à une légende africaine selon laquelle un individu dispose de plusieurs esprits, dont l’un évolue dans le corps d’une bête sauvage. Par cette activité ludique, le joueur s’empare du monde virtuel grâce à « son âme », qui peut se réincarner dans plusieurs êtres. Cet univers vivace est empli de simulacres, d’existences artificielles animées de désirs, qui se développent à travers les mouvements interactifs. Laurence Lek, avec Nepenthe Zone (2022), réinvente ce remède imaginé dans la littérature grecque antique et qui permettait d’oublier ses tourments : dans un monde ouvert, le joueur erre sans aucune contrainte, sur une île imaginaire pleine de mystères, sans mission définie. L’artiste concepteur s’inspire de la portée psychologique de la porte, transition troublante pour l’individu qui ne se souvient plus pourquoi il a pénétré dans une salle. Ainsi, lorsqu’un individu traverse le portique de cet espace virtuel, il est supposé avoir gommé de son esprit toutes ses peines, ce qui nous invite à reconsidérer la notion de mémoire à court terme et celle de mémoire fictive numérique. Cette création ludique mène à réfléchir sur les futurs mondes possibles.
Les jeux vidéo nous proposent ainsi l’illusion d’une réappropriation intime d’une fonction sociale, même si, comme le remarque Koster (2013, p. 102), « nous ne sommes pas les maîtres, ni les auteurs de nos expériences ». Cependant, celles-ci nous révèlent un rapport identitaire au vécu d’une personne par ses actions (volontaires ou pas, mais ressenties avec force), qui s’inscrivent spécifiquement dans la construction de sa mémoire.
Conclusion
Grâce à son interactivité, le jeu vidéo a su concevoir aujourd’hui sa propre esthétique en immergeant l’individu dans d’autres mondes, placés sur un mode de l’action qui s’éloigne de l’expérience contemplative et du laisser-aller spécifiques au cinéma. Les hommes de notre siècle habitent moins leur histoire que le monde virtuel, qui les connecte les uns aux autres de manière instantanée (LEGUIL : 2018, p. 29). Et à ce titre, il s’agit sans aucun doute de repenser notre identité imaginaire et réelle. Cynthia Fleury (2023) explique que l’intelligence artificielle constitue un outil à modifier, à renouveler, en garantissant toutefois des critères éthiques. Elle nous révèle que « l’outil numérique n’est jamais complètement extérieur et [que] le lien que nous avons avec lui n’est pas que sujet-objet. Il est interrelationnel et non binaire. L’enjeu est d’humaniser les outils. »
La sphère vidéoludique peut-elle aussi libérer notre « je », enfermé dans un univers de plus en plus normé, en nous offrant une expérience de vie parallèle dans une réalité alternative ? Entre vie fictive et existence réelle, nous constatons que la porosité des frontières a suggéré un monde entre deux, un entre-deux-mondes, qui interroge notre devenir réel. Et que se passerait-il si, à l’instar du film Jumanji, certains joueurs se retrouvaient prisonniers et piégés dans le jeu lui-même, avec la peur d’avoir épuisé toutes leurs différentes vies ? Et par ailleurs, comme dans la vraie vie, ne faut-il pas songer à l’après-mort de notre moi virtuel ?
À ce titre, Life Heritage a déjà envisagé cette question existentielle : que deviennent les avatars en ligne après la mort de leur créateur ? Cette œuvre originale, sous forme de vidéo, explore le monde imaginaire de Second Life vingt ans après sa diffusion. Sans créatures actives pour l’animer, ne subsistent que quelques zombies errants et des cimetières fictifs dans lesquels s’entassent tous les avatars tré-passés.
Que penser alors du fameux métavers aujourd’hui frappé d’obsolescence ? Ce programme informatique souhaitait justement rendre perméable l’espace numérique et l’espace physique en instaurant un territoire hybride, mais il a été pour le moment mis de côté depuis l’essor fulgurant des IA génératives. Les mondes réels et virtuels sont désormais prêts à accueillir cette nouvelle révolution technologique qui converse à la place du « je », tout en renforçant la crédibilité des mondes numériques ; et cela nous incite, dans le sillage teinté d’ironie d’Olivier Cabanel (2023), à nous poser cette ultime question : « IA ou Hi-Han ? »
Notice biographique
Murielle Navarro est docteure en arts (théorie, pratique, histoire), intervenante en histoire de l’art et en arts plastiques, membre associée au sein du laboratoire Médiation, Information, Communication, Arts (MICA – EA 4426) axe Art, design, scénographie : figures de l’urbanité (ADS), UBM. Ses thèmes de recherche s’inscrivent dans l’étude esthétique des œuvres d’art qui revisitent les récits populaires et, principalement, les mythes et les contes cannibaliques.