Apprendre en s’amusant : développer un jeu vidéo sur la préservation de la biodiversité marine

Le personnage principal de Save Seamulator.

Résumé

À mi-chemin entre retour d’expérience et analyse critique d’un serious game et de ses mécaniques, cet article, coécrit par les trois chefs de pôle du projet et leur enseignant, revient sur le développement de Save Seamulator, un jeu qui s’intègre dans le cadre du projet Préservation de la Vie de l’Océan (VIV’O) et présenté lors de l’événement VIV’Océan de mars 2025. Le joueur est à la tête d’une petite ville au bord de la crise écologique et tente d’améliorer les conditions de vie des habitants, tout en respectant l’environnement côtier.

Mots-clés : serious game, biodiversité marine, game design, gameplay, apprentissage, éducation.

Abstract

Between feedback and critical analysis of a serious game and its mechanics, this article co-written by the three managers and their teacher discuss the development of Save Seamulator, a game that is a part of the research project Preservation of life in the Oceans (VIV’O) and presented during the event VIV’Océan in march 2025. The player is put in charge of a city nearing an ecological crisis and must better their conditions of living while respecting the seaside environment.

Keywords: serious game, marine biodiversity, game design, gameplay, learning, education.

Apprendre en s’amusant : développer un jeu vidéo sur la préservation de la biodiversité marine

Learning while playing: developing a video game about the preservation of marine biodiversity

Introduction

« Si vous regardez la mer, vous devrez d’abord et surtout penser à la vie. En effet, la mer nous a engendrés et c’est là, aujourd’hui encore, que se dissimule et se conserve la majeure partie de ce qui constitue la vie sur notre planète. »
Alessandro VANOLI, Histoire de la mer, p. 43.

La conception d’un serious game sur la protection de la biodiversité maritime, en collaboration avec des enfants, permet de travailler tant avec la cible du jeu (pour en comprendre ses attentes) que de l’impliquer dans la conception de l’objet en lui-même. Il faut alors penser le développement du projet pour qu’il plaise à la cible, mais aussi pour qu’il réponde aux critères ciblés à l’origine : l’apprentissage d’une complexité. Le projet est né d’une rencontre entre les partenaires d’un premier projet, RPF[1], qui donnera par la suite naissance à l’équipe VIV’O[2]. Celle-ci réunit des chercheurs des laboratoires MICA de l’université Bordeaux-Montaigne et EPOC de l’université de Bordeaux ainsi que des membres de l’association ADE Méditerranée. Lors de cette première rencontre à Menton, en mars 2024, ADE Méditerranée a convié, pour l’occasion, les collégiens du club Aire marine éducative (AME) de la Villa blanche de Menton.

Manifestement intéressés, ces collégiens ont exprimé, sous l’impulsion de Bernard Peyrano et de Thomas Brunel, le désir de créer un jeu vidéo portant sur le sujet, défi qui a été relevé dans le cadre du projet tutoré pour les étudiants de troisième année des métiers du multimédia et de l’Internet (MMI) de l’IUT Bordeaux-Montaigne. Alliant la volonté de changement des collégiens et les compétences techniques des étudiants, Save Seamulator prit forme.

Les serious games ne sauront devenir des outils pédagogiques de référence qu’à condition de ne jamais céder à l’envoûtement technologique car l’objectif de ces projets est avant tout de transmettre de la connaissance, d’instruire, de soutenir la montée en compétence (LAVERGNE BOUDIER, DAMBACH : 2010, p. 208).

Éduquer par le jeu n’est pas une nouveauté et il s’agira, dans cet article, de retracer la genèse du projet conjointement à son but principal : éduquer et engager la conversation avec les plus jeunes. Non que les adultes soient dissuadés d’y jouer, bien au contraire ! Save Seamulator est un outil permettant d’engager la conversation au sein d’une classe et facilitant l’accroche au sujet vaste de la biodiversité marine pour le professeur. Il s’agit de gérer une ville et ses habitants, mais aussi de rétablir l’écosystème marin, forçant ainsi le joueur à jongler entre les différentes priorités que sont l’écologie, l’économie et le bien-être des habitants. Nous aborderons tout d’abord la nécessité de développer deux phases de jeu distinctes mais complémentaires, avant de nous intéresser à la manière dont le message est transmis dans le jeu. En effet, outil de sensibilisation et d’éducation, Save Seamulator se veut non culpabilisant pour l’apprenant-joueur et s’appuie sur la curiosité et l’engagement de son jeune public pour transmettre un message écologique.

Deux phases de jeu travaillant de concert

La mer a, de tout temps, effrayé et fasciné par son aspect inhospitalier, mais, depuis le début du XXe siècle, elle dévoile ses secrets et ses beautés lors des explorations réalisées par les scientifiques et les plongeurs, qui repoussent peu à peu les limites de l’inconnu. La mer Méditerranée, au centre du projet, est « la plus ancienne mer de la planète à avoir été anthropisée » (TRAVAGLINI, BOTTARO : 2024, p. 20), c’est-à-dire impactée par l’humain et son activité. Bordant le littoral mentonnais, il était logique qu’elle soit présente dans le jeu, avec ses spécificités.

Les recherches que les étudiants ont commencées dès le début du projet ont donc à la fois servi d’inspirations visuelles, mais également de mécaniques de jeu. Qu’est-ce qui rend la Méditerranée reconnaissable ? Ses espèces endémiques et les problèmes qu’elle rencontre à la suite de l’action de l’humain ? Visuellement, cela permet de dresser un catalogue de références qui permettent de visualiser les lieux, même depuis Bordeaux, dont la côte Atlantique présente des enjeux communs mais également distincts.

Autre question importante : à quel niveau doit-on placer le joueur au sein de ce monde pour lui faire comprendre la complexité de la question ? L’angle de vue joue en effet un rôle sur l’immersion au sein d’un jeu et se projeter dans un univers virtuel en vue aérienne omnisciente ou en vue à la première personne n’aura pas la même puissance immersive pour le joueur. Comment intégrer une rencontre avec les êtres vivants de la mer, tout en maintenant un point de vue ancré sur une ville ? Rapidement, l’idée d’intégrer deux phases de jeu distinctes émergeait.

Le projet interactif Wayfinder de Matt DesLauriers vous conduit à parcourir un univers poétique à la recherche des fragments des souvenirs de la Terre pour rétablir l’équilibre naturel. Il déclare en parlant de ce projet : « Je n’avais pas pour objectif de concevoir un jeu particulièrement complexe ou une expérience narrative hors du commun. Je voulais plutôt capter dans la nature quelques instants éphémères […] et les intégrer à une courte expérience numérique » (DESLAURIERS : 2021). Un jeu vidéo, c’est aussi une expérience numérique qui recoupe plusieurs arts et les tisse ensemble. Wayfinder possède très peu d’éléments de gameplay mais une mise en jeu très rapide du joueur par simple errance. Tout repose sur de l’environnemental, de l’esthétique et du poétique, l’ensemble étant généré et placé de manière procédurale, c’est-à-dire aléatoirement et en temps réel. Il ne s’agit pas d’amener le joueur à réfléchir mais à ressentir. Ce modèle de serious game vise une forme d’échappatoire : il s’agit de s’immerger dans le monde, sans autre but que l’expérience esthétique.

L’exemple de Wayfinder illustre la tendance de certains serious games à privilégier une approche expérientielle et esthétique. Save Seamulator, en revanche, se veut un outil pédagogique distinct. Si l’esthétique a son importance, le gameplay est l’une des premières choses à identifier afin de commencer la structuration du projet. Dans ce but, un document préparatoire a été travaillé et fourni par les élèves du club AME. Décrivant le scénario assez pessimiste d’un humain observant la planète déjà détruite, le personnage joueur remontait dans le temps pour agir sur les décisions et observer les effets à long terme en revenant dans le futur. 

Vint alors le temps pour les étudiants, sous forme d’ateliers d’idéation et de brainstorming, de retravailler le concept des élèves afin d’ancrer leurs idées dans un univers moins issu de la science-fiction. Au revoir le voyage dans le temps ! Pourquoi repartir en arrière, alors que la problématique est contemporaine ? Ce fut également l’occasion, pour eux, de réfléchir au type de jeu, le personnage qu’incarnait le joueur renseignant le point de vue évoqué ci-dessus : un personnage neutre, sans nom, jaune citron en référence à la spécialité mentonnaise. Ce personnage est un avatar signifiant le joueur, rien de plus. Arrivé dans une ville au bord de la catastrophe écologique, il prendra les décisions pour ses habitants, devant satisfaire les besoins économiques et énergétiques, tout en prenant soin de l’environnement et sans négliger l’impact sur la qualité de vie des habitants.

Rapidement, un type de jeu ressort parmi les options évoquées : un jeu de gestion, plus proche d’un city builder à la Sim City, c’est-à-dire la simulation d’une ville que construit, contrôle et gère le joueur avec, pour seul but, d’améliorer l’état de départ. Il est alors temps de mettre de nouveau en contact les deux groupes afin de discuter de ces changements et de les argumenter. L’intérêt de ces échanges est de placer les étudiants en situation de conseil, tiré de leur expertise technique et narrative, et les élèves en situation d’apprenants participatifs, proposant une idée plus vaste sans connaissance de leur faisabilité dans une durée impartie. Il ne s’agit pas de dire « nous avons refait tout votre jeu », mais bien « voilà les pistes qu’il nous semblerait possibles et intéressantes de suivre ». L’entente est atteinte sur le gameplay, il faut désormais aborder l’esthétique du jeu.

Esthétiquement, les éléments visuels font de nouveau écho à la ville de Menton, sans pour autant restreindre le joueur à ce sympathique village pour permettre une diffusion plus large. Les habitués reconnaîtront la basilique Saint-Michel Archange ou les rampes Saint-Michel. Cette fidélité visuelle renforce l’ancrage territorial du jeu et favorise la reconnaissance et l’engagement des joueurs locaux, tout en conservant un propos universel. L’ambiance sonore mise en place dans la ville a été travaillée à partir de captations réalisées sur place par les élèves et les musiques, travaillées avec Théo Amar du conservatoire de musique de Bordeaux, font écho aux instruments traditionnels de la région. L’ambiance participe ainsi à l’immersion, sans venir supplanter le contenu.

Les jeux de gestion reposent sur une temporalité qui n’est pas celle du monde réel, car les impacts seraient imperceptibles à l’échelle d’une partie. Juul explicite l’importance de la temporalité du jeu et de la gestion fictionnelle du temps au sein du jeu afin de mesurer l’impact d’une décision dans un délai raisonnable et identifiable. « Le temps fictionnel dépend de marqueurs explicites, comme les dates, et des présupposés culturels sur la durée des événements du jeu[3] » (JUUL : 2005, p. 143) Cette modification classique de l’échelle temporelle permet d’intégrer l’impact sur la longueur de décisions prises par le joueur, qui influencent ainsi le monde du jeu et permettent de mieux saisir les équilibrages qu’il est nécessaire de prendre en compte : le coût financier des investissements, le gain énergétique et économique, l’impact environnemental de ces décisions, etc.

Figure 1 : Échelle des temporalités dans Save Seamulator, d’après les schématisations de Jesper Juul. Il est à noter que le temps de l’exploration suspend le passage du temps fictionnel.

Nécessairement, la phase de gestion amène la notion des ressources. Difficile, en effet, de construire des bâtiments sans avoir de matériaux. La phase d’exploration vient ainsi répondre à ce besoin de collecte, mais également amener à la rencontre des espèces marines. Sous forme de sidescroller, il ne s’agit plus de gérer la ville et ses problèmes, mais d’amener le joueur à plonger dans l’eau. Afin de conserver un peu d’amusement[4], la jauge d’oxygène et l’accélération de la vitesse de défilement de l’écran confrontent le joueur à un environnement où les seuls ennemis sont les courants marins, les rochers et, bien sûr, les déchets.

La survivance de l’image étonnante d’un monde marin riche de mystères et fondamentalement hostile est révélatrice de l’ignorance où se trouve un monde de Terriens attachés à la glèbe et manifeste la nécessité de diffuser largement le savoir scientifique (GEISTDOERFER : 2015, p. 39).

L’univers du jeu reste ainsi éloigné des terreurs marines (bien que quelques easter eggs se soient glissés dans les fonds marins, maintenant cette tradition du monde du jeu vidéo). La phase de plongée se devait d’être plaisante. Seule source d’anxiété indicatrice d’avancée dans le jeu : la jauge située en haut à gauche de l’écran, dont l’évolution est figurée par un petit poisson qui passera par quatre stades de santé, affectueusement nommé de Croupi à Gucci par les étudiants.

Figure 2 : Les quatre poissons définissant le niveau de pollution.

Approche bienveillante : éduquer sans culpabiliser

Ces deux phases entendues, gestion et exploration, il fallait désormais répondre à une deuxième contrainte chère au projet dans le cadre duquel le jeu s’intègre : éduquer, mais ne pas culpabiliser. Le monde aquatique devait impérativement rendre curieux, fasciner, intriguer. En aucun cas, le but du jeu n’était de pointer le joueur du doigt pour lui dire d’un ton condescendant : « Tu es responsable, c’est ta faute ! » Pour cela, il était nécessaire de réunir le contenu informationnel. 

Une fois encore, l’apport des élèves du club AME fut précieux : identification d’espèces, fiches descriptives, informations comportementales, etc. Une véritable mine d’or pour les pôles « création et développement », permettant la mise en place de versions « pixel art » et d’illustrations ainsi que de lignes de code. Ces espèces sont-elles curieuses, craintives, statiques ? Dans ce dernier cas, par exemple, l’espèce défilera avec le paysage. Fruit d’un hasard calculé selon la rareté de l’espèce, chaque rencontre permettra au joueur de réduire son propre impact sur l’environnement lors de ses prochaines explorations. En interagissant avec ces espèces, le joueur gagne en connaissance après la construction du centre de recherche, débloquant les informations transmises par les élèves pour en apprendre plus sur ces espèces marines et jouant ainsi sur le collectionnisme que nous pouvons retrouver dans des jeux de cartes, comme Beecarbonize[5], ou dans Animal Crossing, où le musée se remplit au fur et à mesure que le joueur contribue à la collection.

À cette volonté de transmettre du savoir vient s’ajouter celle d’enchanter et de ne pas effrayer. Si, souvent, le pessimisme climatique tend vers une approche nihiliste du type « il n’y a plus rien à faire, alors autant abandonner », le but était surtout, ici, de protéger l’enchantement de la découverte du monde marin. Comme l’explicite Cécile Croce, le déni, qu’il soit climatique ou non, contient « le risque de s’y enfermer et de vivre comme si le danger n’existait pas, comme si nous étions immortels et ne risquions rien » (CROCE : 2024). L’inaction dans le jeu est dès lors lentement punitive par nécessité, car faisant écho à la réalité, mais l’apprentissage se fait par la découverte d’espèces, de leurs caractéristiques, de l’impact qu’elles ont parfois sur l’environnement, mais aussi que les changements de l’environnement amènent.

L’objectif de Save Seamulator n’est pas de faire culpabiliser les jeunes. Au contraire ! Il cherche à éveiller une conscience positive vis-à-vis de l’environnement marin, tout en rappelant le rôle fondamental que les humains jouent dans la préservation de ces écosystèmes. À travers une approche bienveillante et réaliste, nous souhaitons offrir aux joueurs une meilleure compréhension de la biodiversité marine et de notre impact sur celle-ci (Livret de Save Seamulator : 2025).

Cette approche s’inscrit dans la perspective d’une pédagogie positive, telle que présentée par les travaux d’Albert Bandura (1997), qui valorise l’apprentissage par la découverte et l’action, plutôt que la culpabilisation. Son approche de l’apprentissage lutte contre le défaitisme, en replaçant l’action dans les mains de l’apprenant, qui peut alors observer l’impact, négatif ou positif, de son action. Son sentiment d’efficacité personnelle devient source de motivation pour poursuivre son apprentissage. Or, comme le précisent Galand et Vanlede, « [n]ombre d’études indiquent aussi que les apprenants s’investissent rarement dans une activité qu’ils ne s’estiment pas en mesure de réaliser » (GALAND, VANLEDE : 2004) Le jeu permet ainsi une approche accessible à chacun et garantit une prise en main plus simple pour l’apprenant.

Approche possiblement utopiste, il s’agit pourtant d’imaginer notre propre futur et de faire face à une crise au sein d’un environnement contrôlé et contrôlable, afin de réaliser une utopie écologique qui répond à des versions simplifiées des obligations de notre société actuelle. Le jeu permet ainsi d’explorer une utopie, cette « opération visant à révéler les limites de notre propre imagination du futur, les lignes que nous ne semblons pas capables de franchir en imaginant des changements dans notre vie et notre monde » (JAMESON : 2016)

Bien sûr, ce jeu n’esquive pas la mise en récit par la dystopie : la ville présentée dans le jeu est au bord de la catastrophe écologique et pourra être amenée à faire face à plusieurs événements aléatoires, positifs comme négatifs, mais tous impactant le gameplay. La mer est parsemée de déchets plastiques ; les espèces marines invasives peuvent surgir ; un épisode caniculaire ou une marée noire peuvent affecter l’environnement, etc. Il ne s’agissait pas d’être exhaustif, mais de commencer une ébauche de complexité permettant la mise en discussion dans le cadre d’un cours.

Même face à l’apparition d’une espèce invasive, il n’est jamais question d’ennemi. La faune et la flore demeurent des habitants de l’espace aquatique lors des phases d’exploration, mais aucun ne viendra attaquer le joueur. Le jeu cherche à expliquer les causes de cette présence invasive et les interdépendances écologiques. Certains facteurs, externes au contrôle de l’individu joueur, lui retirent tout sentiment de supériorité, le mettant face à la réalité : nous pouvons agir à une échelle individuelle, mais ce n’est pas suffisant.

Figures 3 à 5 : L’exemple d’un événement dans le jeu (ici, l’invasion de barracudas) ainsi que la fiche renseignée dans le centre de recherche après la rencontre de l’espèce.

Il ne s’agit pas d’envisager la faune et la flore comme l’ennemi à dompter, mais comme des curiosités à rencontrer et à comprendre. Le joueur est ainsi rapidement amené à construire un centre de recherche afin d’amoindrir son action polluante lors des sorties exploratrices. Si la mécanique de récolte de ressources peut sembler illogique par rapport au monde réel, elle joue également comme levier de mise en jeu pour ces rencontres. Le ramassage des déchets prolonge l’expérience, là où les négliger l’abrège. Faute de temps, le recyclage de ces déchets ou l’intégration de technologies inspirées du biomimétisme n’ont pu malheureusement être implémentés, mais cela aurait également agi comme un puissant levier poussant à la récolte et récompensant l’engagement du joueur et son implication dans le système.

L’effort du joueur amène un résultat quantifiable dans le monde virtuel, notion qu’il est possible de transférer dans le monde réel : un effort, collectif ou individuel, amènerait des changements profonds dans notre société. Rappelons qu’un serious game est « un jeu dont la finalité est autre que le simple divertissement. […] Ils proposent des environnements ludiques des plus immersifs derrière lesquels prennent forme des mises en situation à valeur pédagogique » (PERRON : 2012, p. 159). Refusant une approche culpabilisante, Save Seamulator préfère l’éducation et l’enchantement comme leviers de changement, aussi minimes soient-ils.

Développé pour et avec des collégiens, mais aussi avec de plus jeunes élèves, le jeu n’a pas pour idée de copier la réalité mais d’en présenter une version simplifiée, qui souligne des liens de cause à effet, amenant à une meilleure compréhension de la complexité du problème. Il ne s’agit pas simplement d’arrêter le plastique, mais de reconsidérer profondément nos modes de vie. Une solution simple n’existe pas, il nous faut repenser le relationnel au monde.

La perspective océanique consiste alors à reformuler nos catégories de pensée en se plaçant non plus du point de vue de la terre ferme, à partir d’un point fixe, mais du point de vue de la mer, fluide, changeant, décentré, impliquant une temporalité et des dynamiques propres (HA THUC : 2025, p. 49).

Le livret fourni en ligne avec le jeu propose ainsi des pistes à explorer pour engager la discussion entre professeur et élèves sur l’écologie, mais aussi sur la faune et la flore méditerranéennes, proposant de prolonger l’expérience par le visionnage d’un documentaire ou bien par une activité comme la cartographie des impacts ou la mise en situation dans un scénario catastrophe afin d’informer sur la complexité de l’écosystème marin.

Figures 6 à 9 : Quelques GIF animés de sprites utilisés par le jeu. De gauche à droite : la girelle paon, le grand pagure rouge, la méduse nomade et le poulpe commun.

En 1776, l’économiste Adam Smith soulignait le paradoxe de l’eau et du diamant, dans lequel il compare la valeur d’usage de l’eau à la valeur d’échange d’un diamant. Notre société fait actuellement face de plein fouet à ce paradoxe. L’utilité d’une ressource vitale est opposée à un système économique omniprésent, dans lequel nous jouons tous un rôle. Save Seamulator ne sauvera pas la planète et n’a jamais eu cette prétention, mais l’outil a été pensé pour amener des discussions qu’il est nécessaire d’avoir avec les plus jeunes, qui, à leur tour, les auront avec leurs parents et grands-parents. L’éducation n’est pas une notion descendante uniquement et pour paraphraser Bernard Peyrano : « J’ai des parents qui apprennent, parce que leurs enfants en parlent avec eux ! »

Ce texte a été écrit sous la direction de Thomas Brunel en collaboration avec Élodie Laisne, Nino Lefort et Julie Rondof.

Notices biographiques

Thomas Brunel est enseignant en MMI et chercheur associé au laboratoire MICA. Dans le cadre du projet VIV’O, il se spécialise dans l’approche de la protection de la biodiversité marine au travers de l’étude de jeux vidéo et de l’impact qu’ils peuvent avoir sur le joueur.

Élodie Laisne, titulaire d’un BUT MMI avec une spécialisation en création visuelle, poursuit actuellement ses études en entrepreneuriat. Passionnée par l’innovation graphique et les projets créatifs !

Nino Lefort, étudiant en MMI, est passionné par les jeux vidéo et l’informatique. Son engagement dans le projet Save Seamulator est motivé par sa volonté de proposer une manière d’apprendre différente des codes académiques traditionnels. Il a assuré la responsabilité du développement du jeu.

Julie Rondof, étudiante en MMI aux compétences polyvalentes, est capable à la fois de donner vie à des idées et à des univers, et de gérer l’organisation d’un projet. En tant que cheffe de projet pour Save Seamulator, elle a coordonné la répartition des tâches, supervisé l’organisation générale et pris en charge le pôle « narration ».


Notes de bas de page
  1. Le Répertoire précieux des formes (RPF) est un projet en programme scientifique d’établissement (PSE) 2024 de l’université Bordeaux-Montaigne, porté par Cécile Croce, codirectrice du MICA, en partenariat avec Bernard Peyrano, président de l’association ADE Méditerranée. Il a donné lieu à une rencontre en mars 2024, qui s’est déroulée à Menton. [En ligne] <https://www.artshebdomedias.com/article/des-formes-pour-que-vive-le-precieu>
  2. PréserVatIon de la Vie des Océans (VIV’O) est le PSE 2025 de l’université Bordeaux-Montaigne, porté par Cécile Croce, codirectrice du MICA, en partenariat avec, entre autres, le laboratoire EPOC et l’association ADE Méditerranée.
  3. « Fictional time depends on explicit marks, such as dates, and on cultural assumptions about the duration of the game events » (notre traduction).
  4. Nous faisons ici référence aux théories du fun, qui enjoignent à conserver une forme d’amusement afin d’inciter les personnes à entrer en activité.
  5. Beecarbonize est un jeu développé par Charles Games et sorti en 2023, dont le but est de gérer plusieurs secteurs (industrie, écosystème, habitants et sciences) afin d’éviter le désastre et de faire advenir un futur durable.
Bibliographie

Bibliographie

  • CROCE Cécile (2024), « Penser en trilobite », Astasa, année 2023-2024, saison 4. [En ligne] <https://www.astasa.org/2024/09/27/penser-en-trilobite/>
  • GALAND Benoît et VANLEDE Marie (2004), « Le sentiment d’efficacité personnelle dans l’apprentissage et la formation : quel rôle joue-t-il ? D’où vient-il ? Comment intervenir ? », Les Cahiers de recherche en éducation et formation, n° 29. [En ligne] <https://hal.science/halshs-00603501v1>
  • GEISTDOERFER Patrick (2015), Histoire de l’océanographie. De la surface aux abysses, préface de Pascale Delecluse, Paris, Nouveau Monde.
  • HA THUC Caroline (2025), « Perspectives océaniques », Art Press, n° 533.
  • JAMESON Fredric (2016), « L’utopie comme méthode », Contretemps. Revue de critique communiste. [En ligne] <https://www.contretemps.eu/utopie-methode-jameson/>
  • JUUL Jesper (2005), Half-Real: Video Games between Real Rules and Fictionnal Worlds, Cambridge, Massachusetts, The MIT Press.
  • LAVERGNE BOUDIER Valérie et DAMBACH Yves (2010), Serious Game, révolution pédagogique, Paris, Lavoisier, coll. « Systèmes de formation et d’enseignement ».
  • PERRON Yolande (2012), Vocabulaire du jeu vidéo, Montréal, Office québécois de la langue française.
  • TRAVAGLINI Andrea et BOTTARO Massimiliano (2024), « L’analyse historique, un outil de la conservation », inThomas Changeux, Daniel Faget et Anne-Sophie Tribot (dir.), Merveilles aquatiques, l’art de représenter le vivant, Paris, MkF Studio.
  • VANOLI Alessandro (2022), Histoire de la mer, Paris, Passés composés.

 

Œuvres interactives et jeux vidéo

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