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Face à l’urgence climatique et à l’épuisement des ressources naturelles, la nécessité de repenser nos modes de production, de pensée et de création est devenue une priorité pour les mondes scientifique, artistique et industriel. C’est dans ce contexte que la recherche engagée depuis 2015 sur les formes d’intelligence et d’innovation des écosystèmes marins prend tout son sens. Ces milieux sont envisagés comme des partenaires de la pensée et des catalyseurs de nouvelles méthodologies de recherche.
Notre démarche s’appuie sur une approche transdisciplinaire articulant art contemporain, sciences naturelles, design spéculatif et ingénierie des matériaux. L’enjeu est de développer des formes alternatives d’innovation en s’inspirant des propriétés adaptatives, régénératrices et communicantes des organismes marins. De la collaboration initiale avec la Fondation Surfrider aux recherches menées dans le cadre du projet La Voie Lactée, BIOBANK témoigne de la volonté d’articuler création et connaissance dans une perspective de durabilité.
Nous souhaitons aujourd’hui restituer les principales étapes de cette recherche-création, en analyser les contributions théoriques et matérielles, et en proposer une lecture critique dans le cadre plus large des épistémologies écologiques.
Contexte théorique et cadre méthodologique
BIOBANK s’inscrit à l’intersection de plusieurs champs disciplinaires : la recherche-création, les études sur le biomimétisme, les épistémologies écologiques et les pratiques engagées dans les enjeux de transition. Il part du principe que les milieux vivants, notamment les organismes marins, peuvent être considérés comme des sources d’inspiration formelle ou technologique, mais aussi comme des vecteurs d’intelligence distribuée capables de modifier notre manière de concevoir l’innovation, la matérialité et la relation au monde.
D’un point de vue théorique, cette approche prolonge et développe les engagements pris dans un autre domaine du bio-art, à travers le projet EDEN. Elle dialogue notamment avec les travaux de Donna Haraway sur les modes de cohabitation interespèces et les pratiques de « penser avec » (HARAWAY : 2003), ainsi qu’avec les écrits de Vinciane Despret sur les relations entre savoirs scientifiques et sensibilités affectives dans l’observation du vivant (DESPRET : 2019). Elle s’inscrit également dans le sillage des réflexions de Tim Ingold sur les formes de connaissance issues de l’attention au milieu (INGOLD : 2011), ainsi que dans celui des recherches plus récentes sur l’esthétique environnementale.
Sur le plan méthodologique, il s’agit d’une recherche-création au sens plein du terme, c’est-à-dire d’un processus dans lequel l’exploration artistique est un moyen de production de connaissances à part entière. Cette démarche, qui rompt avec les modèles linéaires de la recherche appliquée, privilégie des logiques d’expérimentation, d’itération, d’hybridation des savoirs et d’indétermination des résultats.

Le travail de terrain, mené sur les littoraux atlantiques, pacifiques et méditerranéens, a permis d’observer in situ les interactions biologiques propres aux écosystèmes marins et d’en tirer des pistes de transposition esthétique ou fonctionnelle. Ces observations ont été prolongées par des phases de prototypage, de tests en laboratoire et de restitution publique sous forme d’expositions, d’installations ou de performances. Enfin, l’analyse critique des productions a été menée à partir d’entretiens croisés avec les différents acteurs, d’évaluations participatives et d’une documentation audiovisuelle systématique.
La base de données d’AnthropOcean
Le projet AnthropOcean marque le point de départ de la recherche en question. Initialement conçu comme une plateforme expérimentale de collaboration entre artistes, scientifiques et militants écologistes, il a été lancé en 2015 en partenariat avec la Fondation Surfrider, active dans la protection des océans et dans la sensibilisation aux enjeux littoraux.
Ce projet s’inscrit dans une réflexion sur l’Anthropocène – cette période géologique marquée par l’impact irréversible des activités humaines sur la planète – et sur la possibilité de développer une esthétique de la réparation et de la cohabitation. Le terme « AnthropOcean » désigne ainsi une tentative de reconceptualisation du rapport entre l’humanité et l’océan à travers des pratiques artistiques situées, informées par les dynamiques biologiques, géochimiques et politiques des milieux marins.
Dès les premières étapes, les chercheurs impliqués ont adopté une méthode d’observation participative des écosystèmes côtiers (plages, zones intertidales, herbiers marins), combinant relevés biologiques, captations sonores et visuelles, ainsi que des échanges avec les communautés locales (pêcheurs, chercheurs, associations). Ces données ont servi de base à la création d’un dispositif artistique multimédia prenant la forme d’une installation immersive intitulée Cartographies sensibles du littoral, dans laquelle les matières naturelles dialoguent avec des formes visuelles et sonores dérivées des analyses scientifiques. Cette œuvre emblématique, qui se présente sous la forme d’une base de données interactive accessible depuis un QR Code en bois flotté, révèle les tensions invisibles entre la vie marine et les intrusions humaines, et cherche à rendre perceptibles les transformations silencieuses de l’océan.
Ces effets sont rendus possibles par un dispositif esthétique qui, en articulant données scientifiques et expériences sensibles, dévoile l’invisible par des translations perceptives, fait ressentir les transformations du milieu à travers des temporalités lentes et des matières vivantes, et engage le spectateur dans une contemplation critique où l’émotion devient vectrice de conscience écologique.
L’un des apports majeurs d’AnthropOcean réside dans sa capacité à activer un dialogue méthodologique entre disciplines : les scientifiques ont intégré les intuitions formelles des artistes dans leurs protocoles d’échantillonnage, tandis que les artistes ont puisé dans les langages scientifiques pour enrichir leur vocabulaire plastique. Cette hybridation a donné lieu à des formes de connaissance sensibles, difficiles à atteindre par les voies strictement disciplinaires[1].
L’initiation de BIOBANK
En 2017, le projet AnthropOcean a pris un nouvel essor avec l’invitation officielle à la Biennale d’art contemporain de Vladivostok. Cette invitation, formulée dans le cadre d’une collaboration inédite avec l’Académie des sciences de Russie, marque une forte reconnaissance institutionnelle du potentiel scientifique, artistique et environnemental de la démarche.
Comme on le sait, la vie sur Terre a commencé dans l’eau. Le projet BIOBANK est consacré aux animaux marins les plus mystérieux, dont les comportements, les stratégies et les propriétés biologiques pourraient inspirer des innovations conséquentes dans nos modes de vie et nos organisations. Ces espèces – souvent abyssales, bioluminescentes ou dotées de comportements encore méconnus – fascinent par l’altérité de leurs modes d’existence, et inspirent de nouvelles approches technologiques, écologiques et poétiques fondées sur l’observation de leurs stratégies d’adaptation, de communication et de résilience.
Depuis des millions d’années, les océans abritent une diversité extraordinaire d’organismes marins qui ont développé des adaptations uniques pour survivre et prospérer dans leur environnement aquatique. Parallèlement, les avancées dans les domaines de la science et de la technologie ont permis de mieux comprendre et d’exploiter les fonctionnements et les structures extraordinaires de ces créatures, ouvrant ainsi la voie à un nouveau domaine d’exploration : le biomimétisme.Ce concept, qui consiste à s’inspirer des formes, des processus et des systèmes biologiques pour résoudre des problèmes et innover dans divers domaines, a trouvé dans les organismes marins une abondante source d’idées pour des applications technologiques et artistiques, comme BIOBANK.
BIOBANK explore plusieurs perspectives artistiques, scientifiques et comportementales du biomimétisme d’organismes marins à travers les exemples des microalgues, des radiolaires, des moules, des huîtres, des requins et de la nacre des coquillages. Nous examinons le potentiel de ces créatures pour inspirer des innovations technologiques dans des domaines allant de l’énergie à l’environnement en passant par les matériaux et la santé, et nous montrons comment cette exploration interdisciplinaire a permis de créer un pont entre l’art et la science, comme certains comportements ancestro-futuristes.

Comportements ancestro-futuristes
Le choix de Vladivostok comme point d’ancrage n’est pas anodin : située à la jonction de plusieurs zones maritimes stratégiques (mer du Japon, mer de Chine orientale, océan Pacifique), la ville est un carrefour géopolitique, biologique et culturel propice à la mise en perspective des enjeux océaniques mondiaux. C’est dans ce contexte qu’une série de résidences, d’ateliers et de laboratoires artistiques a été organisée en collaboration avec des biologistes marins, des ingénieurs en matériaux et des experts en géosciences[2].
Les recherches menées durant cette phase ont principalement porté sur les stratégies adaptatives des microalgues et sur leur transposition potentielle dans les domaines du design durable et de la scénographie immersive. Des plongées scientifiques menées en collaboration avec l’Académie ont permis de recueillir des données inédites sur la bioluminescence, les modes de déplacement sans ossature rigide et les propriétés mécaniques des membranes cuticulaires de certaines espèces extrêmes (cnidaires profonds, holothuries, etc.).

Les microalgues sont de véritables joyaux de l’océan, souvent négligés en raison de leur petite taille. Elles ont attiré l’attention des scientifiques par leur très bonne capacité de photosynthèse. Inspirés par ces organismes, des chercheurs ont créé des cellules solaires biomimétiques plus efficaces, ce qui a permis de développer de nouvelles technologies d’énergie solaire (MIMURA et KOYAMA : 2019). Les microalgues sont également utilisées pour le traitement des eaux usées et des effluents industriels, car elles sont capables d’absorber les nutriments et les métaux lourds. Cette propriété a inspiré le développement de technologies de filtration et de purification de l’eau (CAI, PARK et LI : 2013).

Leur aspect visuel, observé au microscope, révèle des motifs et des structures d’une complexité et d’une beauté saisissantes, offrant un spectacle digne d’une œuvre d’art abstrait. Elles montrent une incroyable diversité de formes, de couleurs et de motifs. Certaines espèces présentent des structures délicates et filamenteuses, tandis que d’autres arborent des formes géométriques symétriques ou des motifs en spirale. Leurs couleurs peuvent varier du vert émeraude au bleu profond, en passant par le rouge vif et même le violet, créant ainsi un kaléidoscope visuel fascinant.
Leur mouvement dans l’eau, imperceptible à l’œil nu, crée des motifs en constante évolution que l’on peut rapprocher des œuvres cinétiques de l’art contemporain. Leur capacité à former des agrégats ou des colonies, souvent selon des motifs réguliers ou fractals, évoque là encore des compositions artistiques abstraites.
De plus, elles fabriquent une variété de pigments et de substances chimiques capables de créer des effets de lumière et de couleur fascinants. Certains pigments fluorescents réagissent à la lumière ultraviolette, produisant ainsi des lueurs spectaculaires sous un microscope. D’autres engendrent des irisations chatoyantes rappelant les reflets de l’huile sur l’eau.
Ces éléments ont nourri l’œuvre présentée dans le cadre de la Biennale, notamment une installation en suspension qui imite les mouvements ondulatoires des microalgues. Animée par des capteurs de flux d’eau, elle est réalisée à partir de polymères translucides recyclés. La pièce proposait une immersion sonore et lumineuse dans un monde sous-marin réimaginé à partir de données spectrales enregistrées lors d’expéditions scientifiques. Ce qui fait art ici, c’est la capacité de l’installation à transposer des données scientifiques en une expérience esthétique et sensorielle : en transformant les flux et spectres enregistrés en mouvements, sons et lumières, l’œuvre convertit la connaissance en perception. Par cette transmutation poétique du savoir en forme, elle instaure un dialogue critique avec la science, non pour l’illustrer, mais pour en prolonger la portée sensible et imaginaire.
La collaboration avec l’Académie des sciences de Russie a également pris une forme plus structurelle : des protocoles de documentation partagés ont été établis pour faciliter l’analyse croisée des matériaux produits, et plusieurs membres de l’équipe artistique ont été invités à participer à des séminaires et à des publications scientifiques. Ce dialogue a renforcé l’idée que les esthétiques spéculatives et les savoirs sensibles produits par l’art pouvaient non seulement accompagner la vulgarisation scientifique, mais aussi ouvrir de nouvelles pistes de recherche fondamentale.
Par ailleurs, la présence du projet lors d’un événement d’envergure internationale a permis de sensibiliser un public élargi aux enjeux d’interdépendance écologique et d’innovation biomimétique. Les critiques ont salué l’originalité d’une démarche alliant poésie formelle, rigueur scientifique et engagement environnemental, contribuant ainsi à légitimer la place des artistes dans les écosystèmes de recherche contemporaine. La recherche par l’art trouve sa place dans le référentiel des outils de connaissance.
Vers les matériaux innovants et biosourcés


À partir de 2021, une nouvelle branche centrée sur l’exploration des matériaux innovants et biosourcés a vu le jour au sein du projet transdisciplinaire La Voie Lactée, que nous avons initié avec la commissaire d’exposition Taisiya Polishchuk et la designer Tatiana Drozd. Ce projet repose sur deux ambitions : développer des alternatives durables aux matériaux industriels traditionnels en s’inspirant des propriétés naturelles des matériaux biosourcés, et créer des œuvres d’art et de design critiques qui sensibilisent aux enjeux de la fragilité des environnements océaniques. L’enjeu est double : d’une part, sensibiliser le public aux enjeux écologiques actuels par des formes esthétiques engageantes ; d’autre part, contribuer à la recherche appliquée en matière d’innovation durable, grâce à une démarche transdisciplinaire. Ces expérimentations ont été menées en collaboration avec des laboratoires de chimie verte, des ingénieurs en bio-ingénierie et des artisans locaux capables de manipuler ces matériaux selon des savoir-faire traditionnels[3].
Le travail sur les plastiques issus du lait constitue une avancée majeure dans la recherche de matériaux durables et biodégradables capables de remplacer les polymères pétrochimiques traditionnels. La transformation du lait en bioplastique a été réalisée grâce à un procédé respectueux de l’environnement. Ces bioplastiques ont ensuite été intégrés à des prototypes artistiques et de design, offrant une nouvelle palette de textures et de transparences. Le passage de la trouvaille scientifique à l’œuvre s’opère lorsque le matériau, détourné de sa fonction expérimentale, devient vecteur d’expression : intégré à une recherche « plastique », le bioplastique n’est plus évalué pour sa performance, mais pour sa capacité à incarner et à interroger, par ses textures et transparences, de nouvelles relations entre technique, écologie et sensibilité.
En 2022, les résultats de ces travaux ont été présentés à la 59e Biennale de Venise, dans le pavillon national de Saint-Marin. Cette présentation internationale a permis de confronter les expérimentations menées au sein de La Voie Lactéeaux travaux d’autres artistes, scientifiques et designers engagés dans des démarches similaires, tels que Tomás Saraceno, Ursula Biemann, Marguerite Humeau ou encore le collectif Superflux, dont les recherches croisent également pratiques artistiques, investigations scientifiques et réflexions sur les matérialités vivantes et les écosystèmes futurs.
Parmi les pièces montrées, plusieurs performances mettaient en scène des bioplastiques en transformation, dont les textures changeantes évoquaient la fragilité et la résilience des écosystèmes marins. Activées par la lumière, la chaleur ou le geste, ces œuvres révélaient la matière comme organisme vivant et proposaient une expérience sensorielle où la création devenait un processus de coévolution entre l’humain et son environnement.
Le processus de création a été documenté de manière rigoureuse à chaque étape : études de faisabilité technique, tests de résistance, analyses de biodégradabilité et entretiens avec les experts impliqués.
Les nacres des coquillages sont une source d’inspiration pour les matériaux de demain. La structure unique de fines couches de cristaux d’aragonite intercalées dans une matrice organique a suscité la création de matériaux composites résistants et légers, destinés à être utilisés dans l’aérospatiale et d’autres secteurs où la légèreté et la résistance sont essentielles. Elle a également inspiré le développement de revêtements anti-fouling et anti-rayures pour une variété de surfaces, ainsi que de membranes de filtration destinées au traitement de l’eau potable et au recyclage des eaux usées.

La nacre, également connue sous le nom d’aragonite nacrée, est un matériau d’une beauté incomparable que l’on trouve à l’intérieur des coquilles de certains mollusques, comme les huîtres, les moules et les escargots. Sa composition unique et ses propriétés optiques remarquables en font un véritable chef-d’œuvre de la nature, qui a été notre source d’inspiration pour la série Thérapie. Tout d’abord, il y a la brillance de la nacre, cette lueur irisée qui émane de sa surface et dont la couleur varie en fonction de l’angle de vue et de la lumière ambiante. Des teintes chatoyantes de bleu, de vert, de rose et de violet se fondent harmonieusement pour créer un effet visuel envoûtant, évoquant les dégradés subtils d’une aurore boréale ou les reflets scintillants de l’eau sous le clair de lune. Ensuite, il y a la texture de la nacre, lisse et satinée au toucher, mais complexe et riche en détails lorsqu’on l’observe de près. Des motifs ondulants, des lignes sinueuses et des tourbillons délicats ornent sa surface, créant une véritable symphonie visuelle de formes et de motifs qui semblent presque magiques dans leur perfection. Chaque coquille de nacre raconte ainsi une histoire unique, celle de la croissance et de l’évolution, façonnée par les forces de la nature.
La capacité qu’a la nacre de capturer la lumière est exceptionnelle. Sa structure composée de couches de cristaux d’aragonite entrecoupées de couches organiques provoque un phénomène optique appelé « interférence constructive ». Celui-ci amplifie la lumière incidente et produit des éclats de couleur éblouissants. Cet effet de « jeu de perles » confère à la nacre une profondeur et une vivacité presque surnaturelles, donnant l’impression que la coquille est vivante. Sa durabilité et sa longévité en font un symbole de résilience et de beauté intemporelle.
En termes de réception, les expositions issues de La Voie Lactée ont suscité un vif intérêt auprès des milieux de l’innovation responsable. Présenté à la Biennale de Venise en 2022, et ensuite à la Biennale d’art contemporain d’Évreux en 2024, le projet a été perçu comme un laboratoire vivant, générant à la fois des matériaux innovants, des objets critiques et des récits engageants. Il a également donné lieu à de nouvelles formes de partenariat intégrant des acteurs de la recherche académique, de l’industrie culturelle et des ONG environnementales. Enfin, La Voie Lactée marque une étape décisive dans le passage d’un art de la représentation à un art de la transformation. Les œuvres ne se contentent plus de dénoncer une situation écologique, mais s’inscrivent activement dans la coconstruction de solutions durables, en tant que prototypes sensibles d’un autre rapport au vivant.

Dans le cadre du programme VIV’Ocean, l’équipe de La Voie Lactée a développé, à l’initiative de Tatiana Drozd, l’œuvre intitulée Matière constante (voir CROCE : 2025). Cette création explore la dynamique et la plasticité des matériaux marins en s’appuyant sur les propriétés adaptatives et sensorielles des matériaux composites biosourcés inspirés des radiolaires.
Les radiolaires sont des organismes microscopiques appartenant au groupe des protozoaires. Ils offrent également des perspectives intéressantes pour l’innovation technologique. Leur squelette minéral complexe, souvent composé de silice, a inspiré le développement de matériaux composites à haute performance utilisés dans l’aérospatiale, l’ingénierie des matériaux et la construction légère. Leur système de filtration sophistiqué a inspiré le développement de technologies de purification de l’eau et de manipulation de la lumière en photonique.
Lorsqu’on les observe au microscope, on découvre un monde de formes et de structures remarquables. Leurs squelettes minéraux prennent des formes variées, allant de sphères délicates à des structures plus complexes en forme de cages ou de coquilles. Ces structures sont ornées de motifs fins et réguliers dont l’esthétique évoque des sculptures miniatures.
La diversité des radiolaires est également impressionnante. Des espèces aux formes géométriques simples aux espèces aux structures complexes et ramifiées, chaque radiolaire offre un spectacle visuel unique. Leurs couleurs, produites par des pigments intracellulaires, ajoutent une dimension supplémentaire à leur beauté, avec des teintes allant du blanc pur au rouge vif en passant par le jaune, le vert et le bleu.
Beaucoup de ces organismes présentent une symétrie radiale ou bilatérale parfaitement équilibrée, créant une harmonie visuelle évoquant les principes esthétiques de l’art classique. Leurs structures sont souvent ornées de motifs complexes et répétitifs qui semblent être le fruit d’une intention artistique plutôt que le résultat de processus biologiques.
Matière constante est une installation modulable et vivante composée de surfaces souples et réactives qui modifient leur texture et leur forme en fonction de variations environnementales telles que l’humidité ou la température. Ce phénomène de transformation matérielle symbolise l’idée d’une matière en perpétuel devenir, en interaction continue avec son environnement, à l’image des écosystèmes marins qui l’ont inspirée.

L’œuvre incarne de façon tangible la notion d’« intelligence matérielle » : le matériau y réagit à son environnement, transformant la pièce en un organisme sensible où la forme émerge de ses interactions avec la lumière, la température ou la présence du public. Par cette approche, l’équipe de La Voie Lactée explore de nouvelles écologies de création, questionnant les frontières entre nature et culture, entre art et science, tout en réinventant les modes de fabrication et d’expérimentation artistique.
En 2023, nos compétences en matière de recherche-création, et plus particulièrement dans le domaine de l’exploration et de la valorisation de nouveaux matériaux, ont été sollicitées par un consortium international menant une recherche sur de nouvelles approches des matériaux de construction. En collaboration notamment avec les collègues des universités KU Leuven (Louvain) et Complutense (Madrid), nous avons réussi, en 2024 et 2025, à mettre en place une série de living labs à Menton, Bayonne et Louvain pour explorer les possibilités uniques de ces matériaux. Dans la série Re-Creation, notre attention s’est notamment portée sur l’intégration de déchets urbains locaux composés de coquilles de moules et d’huîtres. L’œuvre se présente comme une sculpture en béton intégrant des fragments de coquilles de moules et d’huîtres issues de déchets urbains collectés localement. Ces inclusions marines, visibles en surface, confèrent à la matière une texture organique et scintillante qui évoque la sédimentation et l’érosion côtière. Par ce geste, la pièce relie la densité minérale du béton à la fragilité du vivant, transformant un matériau de construction ordinaire en support de mémoire écologique et de réflexion sur la circularité des matières.


Les moules et les huîtres sont les championnes de l’adhésion et de la protection. Leur capacité unique à s’attacher fermement aux surfaces rocheuses grâce à des adhésifs naturels a guidé la création d’adhésifs biomimétiques pour une utilisation dans des conditions difficiles, notamment sous l’eau. Leurs coquilles sont souvent recouvertes d’une couche spéciale qui empêche les organismes marins de s’y fixer, ce qui a inspiré le développement de revêtements anti-fouling pour les coques de navires et les structures sous-marines.
La forme des coquilles de moules et d’huîtres varie considérablement d’une espèce à l’autre. Certaines présentent une symétrie parfaite, avec des courbes douces et des lignes élégantes, tandis que d’autres arborent des formes plus irrégulières, mais non moins esthétiques. La diversité des textures et des motifs qui ornent ces coquilles est également fascinante, avec des lignes ondulantes, des motifs en relief et des stries délicates.
Leur palette de couleurs est tout aussi impressionnante. Certaines coquilles scintillent de mille feux, arborant des reflets nacrés et des teintes irisées qui rappellent les nuances chatoyantes de l’opale ou de la perle. D’autres affichent des tons profonds et riches, du pourpre royal au vert émeraude en passant par le bleu océanique, créant ainsi de véritables œuvres d’art naturelles.
Les coquilles de moules et d’huîtres portent souvent les marques de leur histoire. Les irrégularités, les cicatrices et les imperfections qui parsèment leur surface racontent la vie de ces animaux, ajoutant une dimension narrative à leur beauté. Ces marques ont enregistré l’histoire de leur croissance, les défis qu’ils ont dû surmonter et les années passées à filtrer les eaux marines. Et c’est précisément là que se joue l’art : dans la capacité à transformer ces traces biologiques – témoins d’un vécu organique et d’une mémoire des milieux – en une matière expressive. En intégrant les coquilles dans le béton, nous ne nous contentons pas de recycler un déchet, nous composons avec le temps et la mémoire du vivant, faisant de la sculpture un lieu de résonance entre nature et culture, matière et histoire.
Des matériaux aux formes
Aujourd’hui, nous collaborons avec des maisons de luxe comme avec des fabricants automobiles pour créer de nouveaux objets futuristes s’inspirant notamment des formes marines.
Les propriétés remarquables des écailles de requins ont inspiré diverses innovations technologiques. La structure et la disposition de ces écailles confèrent aux requins une protection contre les blessures et les parasites, tout en régulant leur température. Leur texture particulière réduit l’adhérence des organismes marins, ce qui a inspiré le développement de revêtements anti-fouling pour les coques de navires, les plateformes offshore et d’autres structures sous-marines, réduisant ainsi la résistance hydrodynamique et les coûts de maintenance. Les écailles de requins possèdent également des propriétés antimicrobiennes qui ont donné lieu à des recherches pour développer des matériaux destinés aux dispositifs médicaux, aux emballages alimentaires et à d’autres applications où la réduction de la contamination microbienne est essentielle. La structure des écailles de requins contribue aussi à réduire la traînée hydrodynamique pour une nage plus efficace, cela en diminuant la turbulence à la surface de la peau. Cette propriété a inspiré le développement de revêtements de surface pour les véhicules, les avions et les équipements sportifs, améliorant ainsi leur efficacité énergétique et leurs performances. C’est avec les spécialistes des ergonomies marines que nous travaillons actuellement au Technocentre de Renault sur la nouvelle installation AI-tomobile.
La structure en forme de losange des écailles de requins offre une résistance accrue aux impacts et aux dommages. Cette caractéristique a inspiré le développement de matériaux composites balistiques pour les gilets pare-balles, casques et autres équipements de protection. La flexibilité et la résistance mécanique des écailles de requins ont également inspiré le développement de matériaux et de dispositifs électroniques flexibles, comme les écrans, les capteurs et les dispositifs médicaux portables.

La forme des écailles de requins varie en fonction de l’espèce et de la région du corps où elles se trouvent. Certaines sont petites et arrondies, tandis que d’autres sont grandes et anguleuses, créant ainsi une texture visuelle intéressante et dynamique. Disposées le long du corps du requin selon des motifs réguliers et répétitifs, elles forment des lignes et des motifs évoquant l’art géométrique.
La texture des écailles peut varier du lisse et brillant au rugueux et texturé. Certaines sont recouvertes de petits denticules, des protubérances dentelées qui procurent une sensation de rugosité au toucher. Ces textures variées invitent les observateurs à explorer les écailles avec leurs sens.
Bien que les écailles de requins soient souvent associées au gris ou au noir, elles peuvent également présenter une variété de teintes et de nuances allant du blanc pur au brun doré en passant par le bleu métallique. Ces couleurs, souvent accentuées par des reflets irisés ou des motifs marbrés, créent un spectacle visuel étonnant qui évoque la richesse et la diversité de la vie marine.
Les écailles des requins portent aussi les marques de leur histoire et de leur mode de vie. Les cicatrices, les marques de morsure et les irrégularités qui parsèment leur surface témoignent des batailles qu’ils ont menées et des épreuves qu’ils ont surmontées dans leur environnement hostile. Elles contiennent toute l’histoire de ces prédateurs des mers.
Analyses et résultats
L’ensemble des projets menés dans le cadre de BIOBANK a permis d’engager une recherche-création transdisciplinaire articulée en plusieurs étapes : l’observation scientifique des organismes marins et de leurs propriétés matérielles ; l’expérimentation en laboratoire autour de bioplastiques et de matériaux composites issus de ressources naturelles ou de déchets marins ; la transposition artistique de ces découvertes sous forme d’installations, de sculptures et de performances ; enfin, la mise en partage publique de ces processus à travers des expositions, conférences et collaborations internationales, faisant du projet un espace de dialogue entre art, science et écologie.
En ce qui concerne l’innovation matérielle et le développement de prototypes biosourcés, les recherches menées ont permis de mettre au point des bioplastiques incorporant des composites marins et des polymères biodégradables qui imitent les structures biologiques. Ces matériaux ont montré des propriétés mécaniques satisfaisantes et une biodégradabilité rapide dans des conditions contrôlées. L’intégration de ces matériaux dans des prototypes artistiques et de design a permis d’expérimenter leurs potentialités esthétiques et fonctionnelles, ainsi que leurs limites techniques : leurs textures, couleurs et formes inédites ont ouvert diverses voies artistiques ; leur résistance, flexibilité et durabilité ont été mises à l’épreuve dans différents usages ; et leurs limites techniques se sont précisées, révélant les contraintes liées à la manipulation, à l’exposition ou aux interactions avec d’autres matériaux. Chaque prototype est ainsi devenu un laboratoire vivant, où la matière se déploie, questionne et dialogue avec la création.
Les dialogues interdisciplinaires et la création de nouvelles méthodologies sont un autre aboutissement important de BIOBANK. Le projet a favorisé une collaboration inédite entre artistes, scientifiques (biologistes, chimistes, géologues) et ingénieurs, qui ont coconstruit des protocoles de recherche articulant observation naturaliste, expérimentation technique et création plastique. Ce dialogue a permis d’élaborer des formes de connaissance hybrides intégrant des savoirs sensibles et empiriques, souvent absents des recherches scientifiques classiques. Les échanges avec les laboratoires partenaires des meilleures universités européennes et de l’Académie des sciences de Russie ont renforcé cette dynamique. Par ailleurs, la participation à des événements internationaux, comme la Biennale de Venise et celle de Vladivostok, a offert un cadre stimulant pour confronter les approches et diffuser les résultats.
Les œuvres ont suscité un engagement significatif de la part du public et des partenaires, qu’il s’agisse de professionnels du design durable, d’acteurs de la protection marine ou de visiteurs des expositions. Les dispositifs immersifs et interactifs ont permis de sensibiliser aux problématiques écologiques et de favoriser une prise de conscience critique de l’impact humain et des réponses biomimétiques possibles. Les retours des partenaires institutionnels soulignent l’intérêt d’intégrer l’art dans les dispositifs de sensibilisation environnementale, d’abord comme laboratoire d’innovation, puis comme outil de communication.
Si les matériaux biosourcés explorés présentent un potentiel important, des défis subsistent concernant leur production à grande échelle, leur durabilité dans la nature et leur acceptabilité industrielle. Les œuvres développées témoignent également des tensions entre les exigences esthétiques et les contraintes techniques, et nécessitent un équilibre subtil entre innovation et viabilité.
Enfin, la recherche a confirmé l’importance d’une approche systémique plaçant la cohabitation des savoirs et des pratiques au cœur des processus créatifs et ouvrant des perspectives renouvelées pour l’art engagé dans les enjeux écologiques contemporains. À travers l’exploration de matériaux biosourcés issus d’organismes marins et la création d’œuvres sensibles et interactives, ces travaux démontrent que l’art peut jouer un rôle actif dans la coconstruction de savoirs et de solutions durables face aux crises environnementales. Au-delà des avancées techniques, ces recherches soulignent l’importance des dialogues interdisciplinaires et de l’engagement du public, qui permettent d’enrichir la portée des projets et de stimuler la prise de conscience collective. Elles invitent également à repenser nos modes de fabrication, nos relations au vivant et les cadres esthétiques traditionnels.
L’intégration de l’art dans les dynamiques de recherche et d’innovation ouvre ainsi de nouvelles voies, tant pour la sensibilisation que pour la conception de futurs plus respectueux de la biodiversité et des équilibres naturels. Ces travaux incitent à poursuivre l’exploration de matériaux durables et de pratiques créatives à haute valeur écologique, dans un esprit d’hybridation fertile entre science, technologie et imaginaire artistique.
In progress
Lorsque l’art et la science se rencontrent dans les profondeurs de l’océan, le biomimétisme offre un potentiel considérable pour l’innovation dans divers domaines, de l’énergie à l’environnement en passant par les matériaux et la technologie. En s’inspirant des structures et des mécanismes naturels développés par les organismes marins au fil de millions d’années d’évolution, les scientifiques et les ingénieurs peuvent apporter des solutions innovantes aux défis technologiques actuels, tout en exploitant les ressources naturelles de manière plus durable.
Nos recherches en cours, qui s’appuient sur dix ans d’expérience dans le développement de BIOBANK, explorent en profondeur le potentiel du biomimétisme des organismes marins, mettant en lumière les nombreuses façons dont ces créatures extraordinaires guident notre quête d’innovation et de découverte. Pour chacune de ces recherches, nous créons une proposition plastique qui suscite l’émerveillement et l’inspiration, rappelant ainsi la profonde interconnexion entre la science, l’art et la nature, et démontrant l’extraordinaire potentiel créatif et innovant de la nature. Des dispositifs immersifs et interactifs, tels que des installations vidéo en réalité augmentée simulant les cycles naturels, des projections sensibles aux interactions du spectateur, ou des maquettes tactiles et sonores représentant des écosystèmes fragiles, ont permis de sensibiliser aux problématiques écologiques. Ces dispositifs favorisent une prise de conscience critique en rendant perceptible l’impact humain sur l’environnement et en montrant, par le biais de solutions biomimétiques, des alternatives inspirées de la nature. Grâce à ces propositions, le public peut voir comment les technologies et le design s’inspirent des formes, des structures et des propriétés des organismes marins pour développer des technologies innovantes et créer une nouvelle génération d’objets du quotidien qui appellent de nouveaux comportements.
Les œuvres mettent également en lumière l’importance de la préservation et de la protection des écosystèmes marins. En étudiant et en nous inspirant des organismes qui les peuplent, nous reconnaissons la valeur intrinsèque de ces habitats et de leur biodiversité. En les préservant, nous protégeons également une source inépuisable d’inspiration et d’innovation pour les générations futures.
En explorant les mystères des profondeurs de l’océan et en s’immergeant dans la richesse de la vie marine, les spectateurs découvrent un réservoir infini d’idées et de possibilités qui stimulent la créativité et l’imagination. Conçue comme une expérience de science-fiction, l’œuvre est néanmoins appelée à aider chacun à résoudre des problèmes complexes et à créer des solutions innovantes dans des domaines aussi variés que l’énergie, l’environnement, les matériaux et la santé. Elle nous invite également à explorer de nouvelles frontières de l’innovation en puisant dans la sagesse et l’ingéniosité de la nature afin de créer un avenir plus durable et harmonieux.







