Les « Dialogues d’essences » : une cocréation artistique, olfactive et multisensorielle qui ouvre un champ d’études sur l’être humain

©Christine Glen
©Christine Glen

Résumé

Les Dialogues d’essences sont des œuvres multisensorielles collectives installant, ensemble, trois afférences sensorielles – une musique, une peinture et une odeur – créées selon un processus bien défini entre les artistes du groupe. Dans ce retour d’expérience, nous relatons leur processus de création, leur exposition ainsi que leur réception par le public, qui a dépassé nos attentes en retours de ressentis. Ces expériences artistiques ouvrent des pistes de réflexion quant à la nature de l’être humain et à la vibration de la vie (SEO et al. : 2013).

Mots-clés : art olfactif, art immersif, expériences multisensorielles, sentir, ressentir, vivant, être humain, olfaction.

Abstract

The “Dialogues d’Essences” are collective multisensory artworks installing, together, three sensory inputs – a music, a painting, and a smell – created according to a well-defined process between the artists of the group. In this feedback, we relate the creative process, the exhibitions, as well as the reception by the public, which exceeded our expectations in terms of expressed feelings. These artistic experiences open doors for reflection on the nature of the human being and the vibration of life. (Seo et al.: 2013).

Keywords: olfactory art, immersive art, multisensory experiences, smell, feel, live, being a human, olfaction. 

Les « Dialogues d’essences » : une cocréation artistique, olfactive et multisensorielle qui ouvre un champ d’études sur l’être humain

The “Dialogues d’essences”: an artistic, olfactory, and multisensory co-creation that opens a field to study human beings

©Christine Glen
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Les Dialogues d’essences, installation artistique : « Quand la magie de l’art permet l’osmose des sens ». ©Christine Glen
Les Dialogues d’essences, installation artistique : « Quand la magie de l’art permet l’osmose des sens ». ©Christine Glen

Introduction 

Les odeurs sont de puissants stimulateurs d’émotions. Selon les recherches du professeur Thomas Hummel sur des patients anosmiques, elles semblent à la croisée des autres sens, rendant l’image du monde plus complète et, surtout, plus immersive, plus vivante. C’est sur la base de ces observations que nous – Christine Glen, peintre, et moi-même, Laurence Fanuel, parfumeuse, avec l’aide d’Olivier Wahl, coach artistique, et, plus tard, celle de Clara Madec, spécialisée dans les expériences culturelles immersives – avons décidé de tester l’importance des odeurs mises en contexte et d’immerger le public dans ces expériences multimodales. Nous avons déclaré ensemble : « Arrêtons de parler des sens et faisons-les plutôt vivre. » En tant qu’artistes et individus, nous nous questionnions sur ce que signifient « être » et « être un humain ». C’est ainsi que nous avons développé ces expériences mêlant différentes afférences sensorielles créées à partir de notre plus intense ressenti personnel. Ce retour d’expérience vise à partager aussi bien le processus de création mis en place par plusieurs artistes en quête d’une vibration commune que les retours du public lors des 2 500 immersions que nous avons réalisées depuis 2014, à Paris, Talence (Forum des arts et de la culture) et Strasbourg (Europartvision). Finalement, nous partageons ce pour quoi ces installations ont bien, selon nous, mérité leur nom de Dialogues d’essences.

La création des « Dialogues d’essences »

Que sont les « Dialogues d’essences » ?

Les Dialogues d’essences sont des installations artistiques qui offrent au public des expériences alliant peinture, musique et odeurs. Le point de départ de la création d’un Dialogue d’essences est un morceau de musique d’environ trois minutes. À partir des émotions, sensations, inspirations diverses que leur procure cette musique, le peintre crée un tableau, le nez crée une odeur, sans qu’ils se concertent durant leur temps de création respectif. L’ensemble fait œuvre et c’est ce « tout » qui est exposé. 

La naissance des « Dialogues d’essences » : un défi entre artistes s’interrogeant sur la correspondance des sens

Les Dialogues d’essences sont nés, en 2014, de la rencontre entre un peintre, Christine Glen, et un nez, Laurence Fanuel, organisée par Olivier Wahl, créateur de l’incubateur d’artistes Intensité. Clara Madec a ensuite rejoint le collectif, en y ajoutant sa touche créative et technologique au service de l’installation des Dialogues. Selon les événements, nous avons aussi fait appel à d’autres compétences (ingénieurs, créateurs d’innovations technologiques, spécialistes du son, scénographes, architectes…) afin de faire évoluer le projet.

À l’origine de cette aventure, il y a le témoignage du professeur Thomas Hummel (Taste & Smell Clinic, Dresde, Allemagne) lors d’un congrès IFRA (« Fragrance in our Lives: A Choice Worth Making? The Pros and Cons of Modern Fragrance », IFRA conference, 9 septembre 2010, Paris) sur les ressentis des personnes anosmiques qu’il accueille dans sa clinique pour analyser les causes de leur handicap. Ce qui était particulièrement frappant dans ce témoignage était le fait que ces personnes pouvaient se sentir « hors du monde », avaient l’impression de voir la vie « en 2D », et nombreux étaient ceux qui tombaient en dépression. L’idée que les odeurs soient à la croisée des autres sens, rendant l’image perçue du monde plus complète et surtout plus immersive, plus vivante, nous a donc fortement interpellées (GURDEN, DE BONNEVAL : 2023). 

À la même époque, l’envie de peindre la musique taraudait Christine Glen. Nous avions prévu de réaliser une exposition ensemble. Ces deux sujets se sont donc emboîtés naturellement et nous avons décidé d’immerger les visiteurs dans un environnement visuel (peinture), sonore et odorant. Il restait à définir, pour nous, les artistes, le modus operandi qui nous aiderait à créer ces différentes afférences sensorielles pour que l’ensemble prenne sens et permette à nos « essences » d’entrer en dialogue. Nous avions également, toutes deux, une expérience du jeu théâtral qui nous a guidées dans le travail et l’exploration de cet univers de ressentis. 

Un processus de création choisi par les artistes

Les créatrices partent d’un morceau de musique choisi ensemble. En créant l’odeur, la parfumeuse ne voit pas le tableau, mais s’inspire du morceau de musique. En peignant le tableau, le peintre ne sent pas le parfum, mais peint les émotions que lui procure le même morceau de musique. La musique est donc le vecteur qui lie les deux créatrices et qui stimule leur créativité individuelle. Le « montage » est ensuite l’alliance des trois sens, la peintre découvrant le parfum, la parfumeuse le tableau, ce qui laisse ainsi la place à la résonance et au ressenti entre les trois afférences.

Le but de ce processus de création est de stimuler au maximum les dialogues entre les créatrices, les sens et le public. Le choix du travail en duo fait partie intégrante de la démarche artistique. Car, s’il est vrai que, chacune de leur côté, les deux artistes auraient pu créer des œuvres personnelles sur trois sens, l’alliance ajoute au travail une dimension nouvelle : elle permet de s’entraîner mutuellement vers des chemins qui auraient été ignorés par l’artiste solitaire, de se surprendre, de stimuler la créativité et de sortir de l’absolue subjectivité égocentrique. Il y a ainsi recherche d’un ressenti à la croisée des sens et des êtres qui toucherait à une certaine profondeur universelle, que l’on espère miroir auprès du public.

L’installation

Les trois œuvres – musique, peinture et odeurs – sont ensuite présentées en même temps grâce à un dispositif permettant l’immersion totale du spectateur dans une expérience de congruence des sens. La magie opère d’autant mieux que le visiteur peut s’isoler dans un espace protégé des tracas de la vie quotidienne et de la profusion des stimuli. Il vit une expérience multisensorielle. Le « voir », l’« entendre », le « sentir » s’entremêlent, se cherchent les uns les autres, se composent et se décomposent, offrant au sensacteur (nous nommons ainsi le visiteur de l’installation multisensorielle ou multimodale) des fractions de seconde d’éternité : il nous est effectivement apparu de manière récurrente que le sensacteur, immergé dans nos installations multisensorielles, perdait la notion du temps, à tel point que nous devions, au début, arrêter la musique nous-mêmes pour le sortir des installations. Nous avons donc, par la suite, limité le temps de musique à trois minutes. 

Une œuvre qui propose au public quatre niveaux de partage

Niveau 1 : la sollicitation de chacun des sens d’une manière nouvelle. 

1. Stimuler l’odorat avec des odeurs nouvelles, qui ne ressemblent pas aux parfums « commerciaux » que les gens ont l’habitude de sentir ; provoquer une mise en contact du public avec une nouvelle esthétique olfactive dans un contexte nouveau : une exposition artistique.
2. Présenter des œuvres plastiques en stimulant l’ouïe, ce qui permet aussi d’appréhender la musique dans un contexte inhabituel.
3. Présenter la peinture – la vision – sous une forme dynamique, stimulée par les autres sens (« J’avais l’impression que la musique guidait mes yeux à certains endroits de la toile » ou « la toile devenait mobile », selon le témoignage d’un sensacteur).

 

Niveau 2 : la stimulation du public avec des afférences sensorielles synesthésiques. 

Travailler la cohérence des différentes stimulations sensorielles pour que l’émotion qui en découle soit totale, comme dans une vraie situation. Lors de l’expérience multisensorielle peut aussi se produire un autre phénomène : l’hallucination ou l’excitation d’un sens qui n’était pas directement stimulé : par exemple, la sensation corporelle de chaleur, qui arrive avec des couleurs chaudes, une musique vibrante et un parfum doux…

Niveau 3 : l’invitation au partage. 

Comme en témoignent les sensacteurs (voir leurs témoignages plus bas), le public est invité à parler de son ressenti, à échanger à ce propos. Le but étant de constater que certaines sensations peuvent être communes, sans toutefois être totalement semblables. La finalité étant d’accepter l’autre selon une sensorialité différente, voire dans un monde différent, qui invite à la curiosité envers l’autre et à la compréhension de la difficulté de communiquer.

Niveau 4 : la pérennisation de ce vécu éphémère, de cette rencontre artistique et émotionnelle. 

Lorsque nos sens sont stimulés de façon cohérente, les influx nerveux qui arrivent au cerveau limbique, c’est-à-dire « au cerveau émotionnel », créent une expérience qui est totale et qui s’inscrit de façon forte dans les souvenirs, avec le contexte qui a généré l’émotion. Cet effet « madeleine de Proust » vise à inscrire l’expérience artistique dans la durée, de sorte qu’elle puisse entièrement rejaillir à la moindre sollicitation de l’un des sens. C’est aussi une façon de faire découvrir, voire de faire aimer, des odeurs innovantes et de les corréler fortement avec l’expérience artistique qui les a présentées pour la première fois.

L’exposition des « Dialogues d’essences »

Les « Dialogues d’essences » : la richesse du parcours et de ses 2 500 immersions

Selon les structures, les œuvres des Dialogues d’essences ont été jusqu’à présent installées comme expériences individuelles ou vécues à deux ou vécues de manière collective (plusieurs dizaines de personnes simultanément, en commençant par les tout-petits), en particulier au Forum des arts et de la culture de Talence, où l’exposition a permis à des classes entières de vivre ensemble les Dialogues et d’en discuter avec une médiatrice.

Janvier 2014 : première exposition à Paris

Deux premières expériences multisensorielles sont présentées, pendant une semaine, au Laboratoire d’exposition. Les visiteurs sont conquis. Une conférence-débat réunissant Macha Belooussova (pianiste concertiste et professeure au Conservatoire national supérieur de Paris) et Claire Martin (PhD chercheure au CNRS), animée par Pierre-Émile Girardin (journaliste), alimente notre enthousiasme et nous conforte dans l’idée de faire dialoguer la science et l’art.

Novembre 2014 : participation au salon Str’Off à Strasbourg 

Le succès des premiers échanges avec le public nous a encouragées à postuler au salon Europartvision-Str’Off, qui se tient en novembre 2014, à Strasbourg, au Palais de la musique et des congrès. Nous sommes sélectionnées. Six œuvres multisensorielles sont présentées. Plus de 650 expériences sont réalisées. Un public envoûté. 

Année 2015 : réflexions et développements

Naît le besoin de faire des Dialogues d’essences une installation-exposition ambulante, qui puisse être gérée par les équipes des structures qui l’accueillent. Les Dialogues d’essences font appel à Carole Lavallard, une architecte passionnée par le projet. De cette collaboration émergent des plans de cabines multisensorielles (les cocons). En parallèle, des ingénieurs-inventeurs imaginent et développent des « baladodors », des prototypes de dispositifs électroniques miniaturisés de diffusion simultanée d’odeurs et de sons. 

Avril 2015 : les « Dialogues d’essences » postulent aux Audi Talents Awards

À l’occasion de cette candidature, l’équipe imagine un coquillage géant, posé au milieu de la ville, dans lequel le public est invité à vivre le dialogue des sens. La candidature n’a pas été lauréate, mais la piste du coquillage est prometteuse et nous ne l’avons pas abandonnée. 

Été 2015 :  un Institut des sens au cœur de Paris ?

Nous postulons au budget participatif de la Ville de Paris. Nous proposons de doter Paris d’un endroit unique en son genre : un Institut des sens, où se mêleraient l’art et la science. Lieu de partage, de ressourcement et de bien-être situé au milieu de la ville et organisant des rencontres, des conférences sur les sens, au cœur de l’humain. Admiré mais ne rentrant pas dans les types de projets sponsorisés, à savoir une construction sans frais de gestion quotidiens, le projet n’est pas retenu… mais reste à suivre ! 

Printemps et été 2016 : un financement participatif et les « Dialogues d’essences » reviennent s’exposer à Paris

Nous prenons conscience que les Dialogues d’essences ont besoin de s’équiper. Afin de réaliser ces infrastructures, nous lançons une campagne de crowdfunding. Le crowdfunding réussi, nous lançons la production de trois cocons (cabines multisensorielles biplaces).Ceux-ci et les systèmes de diffusion font le bonheur des sensacteurs. Nous rencontrons Michel Jolly, directeur du Forum des arts et de la culture de Talence, qui signe avec nous un contrat pour deux mois d’exposition à Talence. 

Mars-avril 2017 : les « Dialogues d’essences » sont invités au Forum de Talence (33)

L’exposition est réservée aux scolaires le matin et ouverte à tous l’après-midi, ce qui nous a permis de vérifier qu’elle était appréciée par une grande diversité de publics. Elle démontre sa capacité à servir de support ludique, interactif et artistique au cours de démarches pédagogiques pour des enfants de tous âges. 

Lien vers le film de 15 minutes : https://www.youtube.com/watch?v=D1t5VKOVNcI&t=12s

Juillet 2019 : les « Dialogues d’essences » sont invités au festival Grasse au pays des merveilles (06)

Dans ce premier festival des sens à Grasse, deux Dialogues d’essences se sont installés au jardin, dans les écrins offerts par la nature. Nous présentons les Dialogues qui entrent en résonance avec le lieu ; ils s’y plaisent à merveille et donnent l’occasion aux sensacteurs de vivre le Ruisseau des sens amoureux. Clara nous apporte une mise en scène de « jeu de piste interactif celtique », qui invite le public à chercher l’installation et à réfléchir sur les sens.

Le catalogue des œuvres « Dialogues d’essences »

À ce jour, les Dialogues d’essences proposent neuf œuvres multisensorielles, dont quelques-unes sont illustrées ici. Le parfum est représenté par la parfumeuse dans sa façon la plus brute : elle rassemble les afférences sensorielles et les ressentis qui inspirent sa création olfactive à la suite de l’écoute musicale et qui constituent son briefing pour le choix des ingrédients et leur mélange.

©Christine Glen and Laurence Fanuel
©Christine Glen and Laurence Fanuel
©Christine Glen and Laurence Fanuel
©Christine Glen and Laurence Fanuel
©Christine Glen and Laurence Fanuel
©Christine Glen and Laurence Fanuel
©Christine Glen and Laurence Fanuel
©Christine Glen and Laurence Fanuel

Les retours du public et nos réflexions

Les retours des sensacteurs

Les sensacteurs ont envie de partager leur vécu et nous le laissent spontanément un avis par écrit, en particulier sur des phylactères que nous laissons à leur intention à la sortie :

« Un véritable envol, immédiat, emporté dans une bulle où tout est permis ! On se retrouve, on se reconnaît, on se perd. Superbe expérience, merci. »

« Se laisser porter par ses sens, belle expérience réfléchissante et délassante. »

« Voyager sans partir, voyager sans bagage, mais avec ses cinq sens ! »

« Merci de ce merveilleux voyage dans un passé lointain, à la fois flou et précis, avec une immense émotion, les larmes aux yeux et une boule dans la gorge. Et un grand désir que ce moment où je respire ne s’arrête jamais. »

« J’ai été étonné de la congruence entre les trois entrées sensorielles : un tableau à dominante verte ; une musique traditionnelle d’origine japonaise (que je ne connaissais pas) et un parfum d’ambiance “verte”, assez rémanent, correspondant aux basses de la musique et à la base vert sombre du tableau. Et, de temps en temps, une musique qui monte un peu vers l’aigu, en accord avec des volutes, de couleur vert-jaune, au milieu du tableau, que j’ai associée à des notes plus légères du parfum […]. L’attention nécessaire pour une expérience trimodale m’a fait considérer la peinture non comme une œuvre “plate” mais comme acquérant une profondeur inattendue » (SALESSE : 2015).

Roland Salesse, directeur de recherche honoraire à l’INRA, a dirigé pendant dix ans l’unité de neurobiologie de l’olfaction (NOeMI) à Jouy-en-Josas. Extrait du livre Faut-il sentir bon pour séduire ?, paru chez Quae. 

« Odeur solaire, orange et peinture de feu avec musique éclatante d’été – le grand midi de Nietzsche pour la première expérience. Peinture de menthe aérienne, odeur verte et musique légère qui vous enveloppe dans sa lenteur fraîche. Un moment d’émotion sereine et belle. Merci à toutes les deux d’inventer l’imaginaire de demain. »

Chantal Jaquet, philosophe à l’université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne (JAQUET : 2015).

« Je passe pour voir, s’ajoutent l’entendre et le sentir. Voyage impromptu que j’aurais souhaité sans fin, sans but, au hasard, pour découvrir les autres chemins du dedans. Artistes talentueuses et aimables. Je suis venu et je repars riche d’une expérience unique, inoubliable.  »

Michel Grimaut, artiste. 

La correspondance des sens et le sensacteur en immersion multisensorielle dans un Dialogues d’essences, Strasbourg, 2014. ©Christine Glen
La correspondance des sens et le sensacteur en immersion multisensorielle dans un Dialogue d’essences, Strasbourg, 2014. ©Christine Glen

Ce que nous avons appris de ces expériences

Le montage entre la musique, les odeurs et la peinture conduit le sensacteur à vivre, au cœur de ce qu’il a de plus intime, une expérience de congruence entre les trois sens, qui entre en résonance avec son humanité. Il nous semble que le lieu de l’art puisse être, ici, cette infime ligne de cohérence sensible entre l’audition, l’odorat et la vision. Les sens nous rapprochent (universalité) et, en même temps, nous éloignent les uns des autres (singularité). Ils nous autorisent à être humains. Les sens donnent un sens à la vie, à notre motivation essentielle d’être en vie. C’est ce réveil à notre vérité qui est désormais la motivation profonde des Dialogues d’essences.

Des dialogues dans tous les sens

Le projet Dialogues d’essences s’est enrichi au fur et à mesure de toutes les rencontres qu’il a faites. À notre grande surprise, la communauté scientifique a tout de suite « accroché » aux Dialogues d’essences, la stimulation des sens étant un sujet fondamental en neurosciences, l’approche par le biais de l’art et les ponts entre émotions et sens stimulés étant ludiques, grand public et scientifiques, à la fois. Les Dialogues d’essences ont également servi de support pédagogique à des classes d’élèves de maternelle et de primaire, accompagnées par une médiatrice culturelle. Les Dialogues d’essences ont permis à de nombreux sensacteurs de découvrir qu’ils étaient synesthètes ou de réaliser qu’ils avaient un odorat bien plus sensible qu’ils ne le croyaient… Ou, pour certains, qu’ils ne faisaient absolument pas attention aux odeurs. Pour la majorité des sensacteurs, l’immersion dans les expériences des Dialogues d’essences a généré bien-être, relaxation quasi hypnotique et envie ou besoin de partager leur vécu dans une libération par la parole ou par l’écrit. 

Et après ? 

Le défi initial s’est concrétisé dans un processus de création que nous avons décidé de conserver pour tous les Dialogues d’essences. Ce sont autant ce processus de création que l’œuvre à laquelle il donne naissance, ainsi que sa réception, qui sont étudiés dans les Dialogues d’essences, comme une fenêtre ouverte sur les ressentis humains, qui sont à la fois à la source de la création et mis en jeu dans sa réception. Nous étudions la communication qui a lieu entre l’humain-artiste et l’humain-public. Étudier nos sens, comment ils nous connectent au monde, comment ce lien nous aide à vivre en harmonie (ou pas) avec notre environnement, les autres, le temps qui passe, nos aspirations, nos respirations et nos devoirs… C’est en fin de compte étudier le flux de la vie, le flux de l’art et ce qui fait de nous des humains bien vivants. 

Ce précédent offre une « boîte de Pandore à processus », c’est-à-dire qu’il offre une multitude d’explorations possibles afin de créer de nouveaux Dialogues d’essences sur la base d’autres processus d’inspiration : créer le parfum puis le peindre, ce que Laurence Fanuel a commencé à mettre en œuvre dans certains de ses ateliers de création ; partir du tableau pour créer un parfum (en cours dans certains musées) ou encore créer une musique à partir d’un tableau et d’un parfum…

Ces expériences et ces vécus nous encouragent à continuer l’exploration des sens (FANUEL : 2021a ; FANUEL : 2021b).

Remerciements à la société Accords et parfums qui soutient la création artistique parfumée.

Notices biographiques

Laurence Fanuel a écrit ce retour d’expérience au nom du collectif Dialogues d’essences, dont font partie Christine Glen, Olivier Wahl et Clara Madec (biographies ci-après).

Laurence Fanuel est parfumeuse, artiste transmédia, écrivaine et PhD en biochimie. Elle a été chercheuse puis parfumeuse dans diverses maisons de parfumerie internationales. Aujourd’hui, dans son Atelier de Rosa Rose sis à Grasse, elle développe de nouveaux usages liés aux odeurs. Pour elle, arts et sciences doivent s’entremêler pour appréhender l’humain et l’inconnu : c’est ce qu’elle enseigne à l’international et ce sur quoi elle écrit. 

Bibliographie : autrice de L’Art de distiller la vie selon Rosa Rose (Maïa, 2021) et co-autrice de L’Art olfactif contemporain (Classiques Garnier, 2015) et des Femmes en parfumerie (Soroptimist, 2019).

https://atelierrosarose.com/

https://www.tedxcannes.com/video/laurence-fanuel

Christine Glen est artiste peintre, photographe, polyglotte, sinophile passionnée, globe-trotter, musicienne, actrice… Christine a participé à de nombreuses expositions en France et à l’étranger, notamment en Chine.

www.christineglen.com 

Olivier Wahl est le créateur du groupement Intensité (incubateur de créateurs) et du Laboratoire d’exposition sis à Paris. Scénariste, cinéaste, peintre, formateur, il est aussi l’auteur de nombreux livres : Créer c’est vivre ; Je suis bloqué devant ma toile ; Peindre passionnément

wahl.olivier@gmail.com

http://www.groupement-intensite.com

Investie dans la vie culturelle et associative depuis plus de vingt ans, Clara Madec est spécialisée dans le développement numérique. Avec sa start-up Tempus Ludicari, elle contribue à éveiller la curiosité du grand public sur les questions culturelles au moyen des nouvelles technologies, mais aussi de l’humain et du jeu. Elle développe des expériences culturelles immersives en proposant des spectacles ou des ateliers surprenants, qui mêlent contes, musique, écriture, arts martiaux, poésie, pour « jouer avec le temps ».

https://www.tempusludicari.fr/

Les artistes du collectif Dialogues d’essences.
Les artistes du collectif Dialogues d’essences.

Notes de bas de page
Bibliographie